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paternelle à ses créatures et souhaite sérieusement leur bien-être, et se plaît à les voir jouir des biens qu’il leur a préparés ; que pareillement il est fâché du contraire, qu’il a pitié de leur misère, qu’il s’en afflige, que par conséquent il est très satisfait lorsque la piété, la paix, l’ordre, la justice, qui sont les principaux moyens de notre bien-être, sont florissans ; qu’il est fâché lorsque l’impiété, l’injustice, la dissension, le désordre, qui sont pour nous des sources certaines de malheur, règnent et dominent ; qu’il est content lorsque nous lui rendons l’obéissance, l’honneur et le respect qui lui sont dus ; qu’il est hautement offensé lorsque notre conduite à son égard est injurieuse et irrévérencieuse par les péchés que nous commettons et par le viol que nous faisons de ses plus justes et plus saints commandemens, de sorte que nous ne manquons point de matière suffisante pour témoigner à la fois par nos sentimens et nos actions notre bon vouloir envers lui, et nous nous trouvons capables non-seulement de lui souhaiter du bien, mais encore en quelque façon de lui en faire en concourant avec lui à l’accomplissement des choses qu’il approuve et dont il se réjouit. »


Cet enchevêtrement vous lasse, mais quelle force et quel élan dans cette pensée si méditée et si complète ! La vérité ainsi appuyée sur-toutes ses assises ne saurait plus être ébranlée. Et remarquez que la rhétorique est absente. Il n’y a point d’art ici ; tout l’artifice de l’orateur consiste dans la volonté de bien expliquer et de bien prouver ce qu’il veut dire. Même il est négligé, naïf, et justement cette naïveté l’élève jusqu’au style antique. Vous trouveriez chez lui telle image qui semble appartenir aux plus beaux temps de la simplicité et de la majesté latines. « Nous pouvons observer, dit-il, que c’est ordinairement dans le milieu des cités, aux endroits les mieux garantis, les plus beaux et les plus marquans, qu’on choisit une place pour les statues et les monumens dédiés à la mémoire des hommes de bien qui ont noblement mérité de leur patrie ; pareillement nous devrions dans le cœur et le centre de notre âme, dans le meilleur et le plus riche de ses logis, dans les endroits les plus exposés à la vue ordinaire et les mieux défendus contre les invasions des pensées mondaines, élever des effigies vivantes et des commémorations durables de la bonté de Dieu. » Il y a ici comme une effusion de gratitude, et sur la fin du discours, quand on le croit épuisé, l’épanchement devient plus abondant par rémunération des biens infinis, où nous nageons comme les poissons dans la mer, sans les apercevoir, parce que nous en sommes entourés et inondés. Pendant dix pages, l’idée déborde en une seule phrase continue du même tour, sans crainte de l’entassement et de la monotonie, en dépit de toutes les règles, tant le cœur et l’imagination sont comblés et contens d’apporter et d’amasser toute la nature comme une seule offrande « devant celui qui, par ses nobles fins et sa façon obligeante de donner, surpasse ses dons eux-mêmes et les augmente de beaucoup,