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et triomphent chez eux par le rigorisme et l’exagération, qui les perdraient chez nous. Wesley est un lettré, un érudit d’Oxford, et il croit au diable ; il lui attribue des maladies, des cauchemars, des tempêtes, des tremblemens de terre. Sa famille a entendu des bruits surnaturels ; son père a été poussé trois fois par un revenant ; lui-même voit la main de Dieu dans les plus vulgaires événemens de la vie ; un jour, à Birmingham, ayant été surpris par la grêle, il découvre qu’il reçoit cet avertissement parce qu’à table il n’a point exhorté les gens qui dînaient avec lui ; quand il s’agit de prendre un parti, il tire au sort, pour se décider, parmi les textes de la Bible. À Oxford, il jeûne et se fatigue jusqu’à cracher le sang et manquer de mourir ; sur le vaisseau, quand il part pour l’Amérique, il ne mange plus que du pain et dort par terre ; il mène la vie d’un apôtre, donnant tout ce qu’il gagne, voyageant et prêchant toute l’année, et chaque année, jusqu’à quatre-vingt-huit ans ; on calcule qu’il donna 30,000 livres sterling, qu’il fit cent mille lieues, et qu’il prêcha quarante mille sermons. Qu’est-ce qu’un pareil homme eût fait dans notre XVIIIe siècle ? Ici on l’écoute, on le suit ; à sa mort, il avait quatre-vingt mille disciples ; aujourd’hui il en a un million. Les inquiétudes de conscience qui l’ont jeté dans cette voie poussent les autres sur sa trace. Rien de plus frappant que les confessions de ses prédicateurs, la plupart gens du peuple et laïques : George Story a le spleen, rêve et réfléchit tristement, s’occupe à se dénigrer et à dénigrer les occupations humaines. Mark Bond se croit damné parce qu’étant petit garçon il a prononcé un blasphème ; il lit et prie sans cesse et sans effet, et enfin, désespéré, s’enrôle avec l’espérance d’être tué. John Haime a des visions, hurle, et croit sentir le diable. Un autre, boulanger, a des scrupules parce que son maître continue à cuire le dimanche, se dessèche d’inquiétudes, et bientôt n’est plus qu’un squelette. Voilà les âmes timorées et passionnées qui fournissent matière à la religion et à l’enthousiasme. Elles sont nombreuses en ce pays, et c’est sur elles que la doctrine a prise. Wesley déclare « qu’un chapelet d’opinions numérotées n’est pas plus la foi chrétienne qu’un chapelet de grains enfilés n’est la sainteté chrétienne. La foi n’est point l’assentiment donné à une opinion, ni à un nombre quelconque d’opinions » : c’est la sensation de la présence divine, c’est la communication de l’âme avec le monde invisible, c’est le renouvellement complet et imprévu du cœur. « La foi justifiante comprend pour celui qui l’a non-seulement la révélation personnelle et la clarté intérieure, mais encore une ferme et solide assurance que le Christ est mort pour son péché, qu’il l’a aimé, qu’il a donné sa vie pour lui. » Le fidèle sent en lui-même l’attouchement d’une main supérieure et la naissance d’un être inconnu. L’ancien