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sociétés modernes, par un juste équilibre des droits du pouvoir et des garanties de la liberté, par le régime constitutionnel en un mot, elle a eu bien des momens difficiles, et nous ne savons vraiment si elle a traversé beaucoup d’épreuves plus graves à un certain point de vue que celle où elle se débat aujourd’hui. Ce n’est pas le désordre matériel qui menace d’envahir le pays, ou du moins ce désordre ne s’est manifesté que par quelques échauffourées facilement domptées ; ce n’est pas une crise révolutionnaire : c’est peut-être bien plus encore, c’est une crise organique en quelque sorte qui depuis six mois passionne toute la politique, met une animosité croissante dans le mouvement des partis, dans les luttes entre le gouvernement et l’opposition, et laisse entrevoir de temps à autre, à travers cette paix extérieure qui règne au-delà des Pyrénées, une désorganisation profonde de la vie publique. Quelle est en définitive la question qui s’agite en ce moment où les chambres viennent de s’ouvrir, et où la politique du gouvernement, résumée par le discours de la reine Isabelle, va passer par l’épreuve d’une discussion qui risque d’être fort vive, si elle ressemble aux polémiques de la presse ?

Il y a aujourd’hui à Madrid, on le sait, un ministère qui vit depuis plus de trois ans et se soutient par l’énergique volonté de celui qui en est le chef, le général O’Donnell, duc de Tetuan. Est-il modéré ? est-il progressiste ? Il n’est ni l’un ni l’autre, ou peut-être est-il l’un et l’autre selon la circonstance. Il s’appuie moins sur un parti que sur une alliance de fractions diverses de toutes les opinions, offrant aux uns comme garantie la paix matérielle conservée, aux autres son nom même de ministère d’union libérale et quelques promesses, effrayant les progressistes de la possibilité d’une réaction outrée, s’il est renversé, les modérés de la perspective de nouveaux déchaînemens révolutionnaires, cherchant de temps à autre quelque diversion patriotique, et ayant toujours, en fin de compte, à résoudre le problème de maintenir la discipline dans une majorité bariolée qu’une discussion sérieuse peut disperser, comme on l’a vu dans la session dernière. Il vit ainsi depuis trois ans. Cette tactique a trop bien réussi au général O’Donnell pour ne point tenter ses adversaires. Les diverses oppositions se sont rapprochées à leur tour, mettant en commun leurs griefs. Anciens modérés, progressistes dissidens, partisans découragés du ministère, démocrates mêmes, ont fait alliance, et se sont mis en campagne avec une passion singulière, prenant pour mot d’ordre le renversement du cabinet O’Donnell, levant le drapeau d’un libéralisme rajeuni. Un nouveau journal, le Contemporaneo, a pris l’avant-garde dans cette guerre, chaque jour plus vive. Jusqu’ici, il n’y avait eu que des escarmouches entre le ministère et l’opposition, réduite à une imperceptible minorité, aujourd’hui c’est une campagne organisée, et dans cette opposition qui s’est formée, un homme qui était, il y a un an à peine, ambassadeur à Rome, qui a été un des promoteurs de l’union libérale, M. Rios-Rosas, figure au premier rang, tout en