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les idées qui ont dirigé son génie dans la création de son œuvre. Nous examinerons tout à l’heure la portée et la nouveauté de la réforme entreprise par ce grand musicien. Après avoir donné encore à Vienne, en 1770, Paride ed Elena, dont il dédia la partition au duc de Bragance, avec une préface où il se plaint fort injustement des critiques amères de ses contradicteurs, après un voyage fait à Parme, où son opéra d’Orfeo fut chanté de nouveau avec un immense succès par le sopraniste Millico, qui devint son ami, Gluck se prépare à prendre une grande décision, qui doit agrandir sa renommée et consolider la réforme qu’il a voulu opérer dans le drame lyrique. Il vient en France et donne successivement sur le premier théâtre lyrique de la nation Iphigénie en Aulide en 1774, Orphée dans la même année, Alceste en 1776, Armide en 1777, et Iphigénie en Tauride en 1779. Les grandes beautés et les défauts de ces chefs-d’œuvre soulèvent une polémique ardente et divisent les beaux esprits du temps en deux partis exclusifs qui nient chacun une moitié de la vérité. Gluck cependant sort vainqueur de la lutte ; il se retire à Vienne, où il mène pendant quelques années une existence heureuse, et il y meurt le 25 novembre 1787, presque la veille de la première représentation de Don Giovanni à Prague, laissant une gloire impérissable. Il avait soixante-treize ans.

J’ai déjà eu l’occasion de faire remarquer ici, en parlant de la reprise d’Orphée au Théâtre-Lyrique, que le génie de Gluck avait été attiré naturellement vers les sujets antiques, vers les légendes d’or de la Grèce héroïque. Il n’a composé qu’un seul opéra sur un sujet emprunté à la poésie moderne, c’est Armide. Baucis e Filemone, Aristeo, Telemaco, Orfeo, Paride ed Elena, Alceste, les deux Iphigénies, Écho et Narcisse, tels sont les titres des opéras les plus connus du maître. En choisissant le sujet d’Alceste après avoir écrit Telemaco et Orfeo, Gluck abondait sciemment dans le sens intime de ses inspirations naturelles.

Le poète italien Calzabigi, qui avait déjà fait pour Gluck le poème d’Orfeo, traita celui d’Alceste sur la donnée bien connue du chef-d’œuvre d’Euripide. — Admète, roi de Thessalie, très aimé de ses sujets, doit mourir. Pourquoi les dieux exigent-ils ce sacrifice ? Les dieux de l’antiquité, pas plus que ceux des âges modernes, n’expliquent jamais leur volonté. Alceste, femme d’Admète, qui adore son époux, veut s’immoler pour lui, afin de conserver à ses enfans et aux peuples de la Thessalie un père tendre, un roi vénéré. C’est dans la lutte généreuse d’Alceste et d’Admète, dans les situations diverses qui en résultent, dans les nobles sentimens de la mère et de l’épouse, dans les exhortations du chœur, qui, comme un écho de la foule présente à l’action, répercute la douleur et la tristesse des principaux personnages, que consiste tout l’intérêt de la tragédie d’Euripide. Hercule, se rendant en Thrace pour y enlever les chevaux de Diomède, vient demander l’hospitalité à son ami Admète. Il apprend, par les vieillards qui sont groupés à la porte du palais désert, le malheur que vient d’éprouver Admète et la mort d’Alceste. Hercule alors prend une résolution digne de son courage ; il descend