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régulière sur des marchés acheteurs permanens, et que les communications entre l’intérieur et le port de mer sont régulières et faciles. Nous avons donc le droit de dire que le rôle de la Hongrie dans l’alimentation générale de l’Europe commence, et que ce rôle grandira forcément chaque année.

Les grandes entreprises de transport dont la mission sera de desservir cet important trafic, et notamment la compagnie du chemin de fer du sud de l’Autriche, sur les lignes de laquelle il se concentrera, doivent se mettre en mesure de pouvoir y faire face. Le port de Trieste, si brillant autrefois, est absolument hors d’état de suffire à la tâche que l’avenir lui réserve ; il faut donc se hâter d’y créer les aménagemens qui peuvent seuls rendre possible l’échange d’un million de tonnes.

La position économique de l’Autriche est aujourd’hui, sur toutes les places de l’Europe, l’objet de défiances qui ne sont peut-être exagérées que parce que les ressources de ce pays sont peu connues et mal appréciées au dehors. Celui qui pourrait les étudier à fond acquerrait certainement la conviction que les forces productives de l’Autriche sont plus que suffisantes pour conjurer les effets de la crise qu’elle subit aujourd’hui. Les provinces orientales de l’empire, jusqu’ici séparées en quelque sorte du reste du monde, vont entrer dans la sphère d’action du commerce général, et les trésors dont la nature les a dotées passeront bien vite de l’état latent à l’état productif. Ce que la Hongrie peut fournir à l’Europe dans la période décennale qui commence ne se borne point, il s’en faut, à 1 milliard et plus de céréales. Les vallées de la Save, de la Drave et de la Theiss renferment des richesses forestières immenses, dont l’exploitation commence à peine : les vins, les bestiaux, les suifs et bien d’autres articles font déjà l’objet d’un commerce plus ou moins étendu, mais dont l’amélioration des voies de transport doit certainement développer beaucoup les proportions. Puis viennent, outre la Transylvanie avec ses immenses forêts et ses richesses métallurgiques inépuisables, qui serviront un jour à la couvrir de rails, les principautés danubiennes et la Turquie. Le temps est proche où le flot de la civilisation, dans sa marche constante de l’ouest à l’est, débordera dans la grande vallée du Bas-Danube et dans le bassin de la Mer-Noire. Dans ce concours d’élémens producteurs dont l’orient de l’Europe doit devenir le théâtre, l’Autriche peut, si elle le veut, jouer un des premiers rôles ; mais pour cela il faut que, marchant résolument dans la voie du progrès et des réformes libérales, elle développe tout ce qui peut lui rester de forces pour grandir dans le commerce et l’industrie, seule route ouverte aux empires de nos jours pour grandir en richesse et en puissance.


F. BONTOUX.