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saigne devant ces souffrances méritées ! Il ne peut avoir de complaisances sentimentales, mais il déborde de pitié : ses yeux se gonflent, et il pleure. Savez-vous le prix des larmes d’un tel homme, et quel trésor de consolation elles renferment ? Elles tombent comme une rosée bienfaisante sur les âmes damnées, qui en emportent pour l’éternité la sensation de douce fraîcheur. Pour tous ces nobles coupables, son passage, loin d’être une malédiction, est donc un véritable bienfait. Son entretien leur donne un moment l’oubli de l’enfer, le souvenir de la terre et le regret du ciel. Et avec quelle grande politesse et quelles nobles manières il les aborde ! Sa colère serre le cœur, mais combien sa tendresse le détend et le fond ! Je ne sais rien de plus doucement poignant, rien qui pénètre plus avant dans l’âme et ouvre plus irrésistiblement les sources de l’émotion que les paroles de Dante, lorsqu’elles sont affectueuses. Elles ont la force invincible de cet appel puissant qui attire Paul et Françoise comme un aimant sympathique, et qui lui mérite de la part des âmes désolées le titre d’être gracieux et bon. Ceux qui parlent de la force de haine et des vengeances de Dante le jugent trop d’ailleurs d’après l’Enfer, où il n’a mis qu’une partie de lui-même, et où cependant, comme nous venons de le dire, son cœur déborde de bonté. Le second miroir de son âme, c’est le Purgatoire. C’est là qu’il s’épanche sans contrainte, là qu’il se livre sans réserve au bonheur de consoler, à la joie d’estimer, à la volupté d’espérer. Les beaux saluts accompagnent les douces paroles. Que d’entretiens animés, de vives étreintes, d’adieux sourians ou mélancoliques, de rendez-vous pris pour l’éternité bienheureuse ! Être gracieux et bon, dit Françoise, et ces deux épithètes sont méritées. Si l’Enfer montre en lui la justice, le Purgatoire montre l’amour ; les deux poèmes se complètent l’un l’autre, et qui le juge sur le premier seul ne connaît que la moitié de cette âme aussi charmante que forte.

L’évocation est terminée. Laissons partir cette grande âme pour le séjour bienheureux, où elle goûte la joie que la terre lui refusa. Que si vous lui demandiez quelle région de ce séjour est la sienne, elle vous répondrait sans doute qu’elle habite parmi ces âmes justes et héroïques qu’elle vit transformées en lumineux sourires dans la planète de Mercure. Les fumées de colère et d’orgueil ont été purifiées, les douleurs de la terre oubliées, et l’amour, qui était au fond d’elle-même, vit seul maintenant sous la forme d’un sourire radieux, d’une lumière sensible et divinement voluptueuse, qui brille d’un éclat plus vif chaque fois qu’une âme bienheureuse vient recevoir la récompense de sa justice.


EMILE MONTEGUT.