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les deux plus beaux dessins de cette série de Flaxman ; mais combien d’autres encore sont dignes d’être cités après ceux-là ! La planche qui représente Dante et Virgile conversant avec les flammes qui contiennent les âmes d’Ulysse et de Diomède est pleine d’esprit dans sa simplicité : les visages des deux poètes expriment bien le mélange de curiosité et d’étonnement que leur inspire le spectacle, inusité même en enfer, de ce supplice subtil comme les âmes qu’il punit. Le dessin où Dante et Virgile sont menacés par les diables facétieux qui habitent l’enfer des maltôtiers, celui où est représenté le supplice du Navarrais Ciampolo, ont une expression d’énergie diabolique que M. Doré n’a pas surpassée. Le voyage sur le dos de Géryon, les portraits des Euménides, un peu trop sereinement belles pourtant, peuvent encore soutenir la comparaison avec les dessins correspondans de M. Doré. Dans tous les autres, dans la forêt des suicides, dans l’enfer de glace, dans la procession des hypocrites, dans le supplice par les serpens, dans la représentation de la ville de Dité, même dans le passage des ombres (ce dernier dessin offre pourtant des détails pleins d’énergie), Flaxman me semble inférieur à M. Doré. Il a été vaincu non pas précisément comme artiste, mais comme interprète de Dante.

Les dessins de M. Doré atteignent le chiffre de soixante-quinze. Dans ce nombre, il y en a près d’un tiers qui font longueur et qui pourraient être retranchés sans que l’œuvre y perdît beaucoup. Le commencement du lugubre voyage se fait trop longtemps attendre, car ce n’est qu’au huitième dessin qu’on arrive aux portes de l’enfer ; le voyage eût été abrégé de deux étapes que le curieux n’y aurait rien perdu malgré le mérite des dessins qui auraient été sacrifiés. Je n’ai pas beaucoup de sympathie non plus pour les gravures qui représentent d’autres sujets que des scènes infernales et qui ne se rapportent qu’indirectement à l’enfer, tels que le meurtre de Francesca et de Paolo, sujet toujours manqué, les trois gravures, très inférieures à l’unique dessin de Flaxman, qui représentent l’agonie d’Ugolin, les portraits de l’impudique Myrrha et de Thaïs la courtisane, qui n’offrent rien de particulier, si ce n’est les expressions de la beauté répugnante de la prostitution et de l’impudeur bestiale, qui ont été bien saisies par le jeune artiste, mais qui font presque tache au milieu de ces tableaux lugubres, et qui en troublent l’austérité, comme la lumière d’un lampion sordide fait tache sur la majesté des ténèbres. Il résulte aussi de ce trop grand nombre da dessins une certaine monotonie, la contemplation en est fatigante, et c’est avec une véritable lassitude qu’on arrive aux derniers, les plus dramatiques pourtant. Ceci une fois dit, nous n’avons plus guère qu’à louer. Cette œuvre confirme les qualités que nous connaissions à