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pauvre infirme au grand cœur, et dont la fortune, à leurs applaudissemens, s’était chargée de redresser les griefs et de venger les injures. L’amateur curieux trouvera toutes ces nuances finement observées dans les dessins des Contes de Perrault, la meilleure œuvre, à notre avis, qui soit sortie de la main et de l’imagination du jeune artiste.

Pour bien comprendre la nature de cette aptitude à saisir les choses les plus variées, on n’a qu’à comparer les dessins de M. Gustave Doré avec ceux dont les artistes de la précédente génération ont rempli ces publications illustrées si fort à la mode il y a vingt ans. Quelle différence entre ces dessins et les vignettes de Grandville, de Gigoux, de Célestin Nanteuil, d’Alfred et même de Tony Johannot ! Aucun de ces artistes, qui tous ont pourtant un mérite reconnu, pas même Tony Johannot, le plus varié et le plus souple de tous, n’entre dans l’intimité vraie de l’œuvre qu’il illustre, et n’en fait saisir l’originalité. Ils se contentent d’une connaissance superficielle, passagère en quelque sorte, et ils croient leur tâche accomplie lorsqu’ils ont exprimé certains caractères sommaires et généraux. Mieux encore, on n’a qu’à restreindre le champ de la comparaison, et à mettre les dessins de M. Gustave Doré en présence de ceux d’un grand artiste, Flaxman, qui lui aussi a fait des illustrations de Dante. Je sais bien que la série de dessins que Flaxman a consacrés à l’Enfer de Dante est inférieure à ses autres œuvres ; mais cette série est inférieure précisément parce que son imagination manque de souplesse, et que dans ce sujet, à la fois grandiose et étrange, elle s’est trouvée dépaysée. Flaxman n’est à son aise que dans les sujets grecs, et ne comprend bien que certains caractères du génie et de l’art grecs. Sur ce terrain, il peut défier tout le monde, et quelques-uns des dessins de son Homère et surtout de son Hésiode, l’œuvre la plus charmante, à mon avis, qui soit sortie de son crayon élégant, correct et froid, méritent toute admiration. Cependant, même dans ces compositions, tout en voulant être homérique, Flaxman reste Anglais et très Anglais, et subit l’espèce de fatalité qui pousse les artistes de son pays à ne voir partout dans la nature que des visages britanniques. Heureusement ce défaut, qui choque tous les yeux lorsque les artistes anglais traitent un sujet hébraïque, chrétien ou romain, disparaît en partie lorsqu’ils traitent un sujet grec, et devient presque une qualité, car, chose bizarre à dire, il y a une certaine analogie entre la beauté grecque et la beauté anglaise par la netteté et parfois la rigidité des traits, par une grâce de jeunesse qui est incomparable, par une blancheur qui joue à merveille l’éclat de certains marbres. Les modèles qui posent devant l’artiste anglais, parfaitement impropres à donner