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et esclave, sous une forme qui ne la manifeste qu’en la comprimant. Par suite, quelque chose de tourmenté, de violent, d’excessif, mais aussi un nouveau genre de pathétique inconnu à l’antiquité. M. Lévêque préfère, je crois, Saint-Pierre de Rome à la cathédrale de Cologne, et Saint-Pierre de Rome lui-même, il le donnerait dix fois pour le Parthénon. Cela explique ses sévérités pour Michel-Ange : je ne me permettrai pas de prendre un tel homme pour client ; mais j’avoue que j’aime à relire cette page d’un connaisseur habile qui, dans ce recueil même, a dignement apprécié l’auteur du Penseroso : « On s’est demandé pourquoi Michel-Ange, connaissant l’art antique comme il le connaissait, s’en est autant écarté… Pour moi, je me demande comment il aurait pu exprimer sa pensée, s’il s’était attaché à suivre les traditions de l’art antique. Sa manière de représenter la forme humaine, si différente en effet de la conception grecque, ne tenait pas seulement à la fougue de sa nature, qui l’emportait à violenter les lignes rhythmées et tranquilles de l’art consacré. Ghiberti et Donatello, malgré toute l’élégance et la finesse de leur ciseau, ne s’en sont pas plus que lui rapprochés. Pour exprimer des pensées nouvelles, il fallait une nouvelle langue. Michel-Ange met dans ses figures autre chose que cette âme abstraite de l’antiquité, lueur vague qui, en illuminant doucement des corps parfaits, entraîne l’esprit jusqu’au sentiment de la perfection même. Une âme nouvelle, une âme moderne, personnelle, passionnée, souffrante, agite ces corps de marbre. Vivante, déchaînée, agissante, altérée de l’infini, elle pense, elle jouit, elle souffre, et, quoique captive dans d’étroites limites, elle réussit à exprimer ses émotions et ses sentimens[1]. »


V

Embrassons maintenant dans son imposant ensemble cette critique des beaux-arts. Je ne voudrais pas renouveler mes querelles avec l’auteur ; mais il m’est impossible de ne pas remarquer que le mérite, d’ailleurs éminent, de ses vues sur les arts du dessin, comme aussi sur la poésie et sur l’éloquence, est complètement indépendant des théories métaphysiques exposées plus haut. J’avouerai même qu’en lisant cette partie de l’ouvrage, et sous le charme des analyses où excelle l’auteur, j’aimerais qu’il oubliât un peu sa théorie et ne ramenât point, après la description de chaque chef-d’œuvre, ses formules favorites : puissance, grandeur, ordre. Ce qu’il trouve et ce qu’il admire dans les monumens les plus divers,

  1. M. Clément. Voyez la Revue du 1er juillet 1859.