Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est ainsi que l’art imite la nature et qu’il la surpasse en exprimant mieux qu’elle ce qu’elle veut dire à l’esprit.


Il faut convenir pourtant que cette théorie, qui fait de l’expression la loi suprême des beaux-arts et assigne à chacun d’eux un rang plus ou moins élevé dans la hiérarchie selon qu’il est plus ou moins expressif, n’est pas sans rencontrer sur sa route plus d’une difficulté. Ainsi les théoriciens du beau qui ont envisagé l’architecture comme un art d’expression ont éprouvé quelque embarras, quand on les a priés de dire au juste ce que peut et ce que doit exprimer une construction architecturale. Il semble que dans un édifice tout doive être rapporté à sa fin, et qu’il ne soit pas question pour l’artiste d’exprimer telle idée de son esprit ou telle fantaisie de son imagination, mais de faire que toutes les parties de son œuvre soient appropriées à un usage déterminé. Ainsi une église, une synagogue, une mosquée, devront être construites depuis les fondemens jusqu’au faîte de manière à convenir aux cérémonies essentielles du culte. Il faudra pareillement que l’architecte chargé de construire un hôpital songe qu’il s’agit avant tout d’y recueillir et d’y soigner des malades, et si on lui demande une bourse, il ne fera pas un temple grec. La perfection suprême d’une œuvre architecturale, c’est donc la convenance, qualité précise qui ne semble avoir rien à démêler avec l’expression toujours un peu vague de je ne sais quel sentiment indéterminé. Les théoriciens ont dû ici capituler quelque peu et reconnaître que l’architecture est parmi les arts d’expression le moins libre de tous, et que l’artiste y est enchaîné de toutes parts à des vues d’appropriation et d’utilité qui lui sont imposées du dehors. Et cependant ils ont maintenu, et avec raison, que l’art des Ictinus et des Brunelleschi ne saurait échapper à la loi générale des beaux-arts, qui est non l’utilité, mais l’expression. Qu’exprime donc l’architecture en dehors des fins particulières de chaque édifice ? Les théoriciens répondent que l’architecture exprime les énergies de la nature inorganique, de même que les autres arts, tels que la sculpture, la peinture et la musique, expriment les énergies de la nature animée et vivante. Pour Lamennais, l’art dans l’ensemble de ses moyens expressifs est la reproduction de l’univers entier ; c’est le cosmos refait et recréé par la main de l’homme. Et de même que la base première du cosmos, c’est la matière inorganique, masse immense, infinie, au sein de laquelle dorment toutes les énergies, tous les germes, dont le déploiement successif constituera le mouvement de l’univers, de même tous les arts sont renfermés en germe dans l’architecture. C’est de là qu’ils naissent, et c’est là qu’ils grandissent dans l’ombre, jusqu’au jour où ils se détachent