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à la métaphysique. Il n’y a là qu’un artifice d’exposition. Sous le spécieux prétexte que le beau ne peut être senti qu’après avoir été connu, l’auteur, au lieu de commencer par l’analyse sincère des diverses impressions que le beau laisse dans nos âmes, n’a rien de plus pressé que de nous dérouler toute sa théorie métaphysique des caractères essentiels du beau. De là deux grands défauts : d’abord l’analyse manque de naturel et de sincérité ; elle est l’instrument trop visiblement docile de la théorie, et par suite quelque chose de prématuré, de convenu, d’arbitraire, qui altère et corrompt tout, même les parties de vraie et fine observation psychologique ; puis, quand l’auteur en vient à ce qu’il appelle proprement sa métaphysique, qu’arrive-t-il ? C’est qu’il n’a plus rien à nous apprendre. Que le beau existe véritablement d’une existence objective et absolue, c’est ce qui a été déjà vingt fois affirmé ou supposé. Je sais que Kant a nié l’objectivité du beau et que cette doctrine vient de reparaître dans des écrits récens[1] ; mais l’auteur, après avoir soulevé cet énorme problème, ne le discute pas à fond : il aurait mieux fait de le laisser dormir. Il établit ensuite que le beau est quelque chose d’essentiellement spirituel et invisible ; mais cela est impliqué dans tout ce qui précède. De là bien des redites, et au lieu de ce mouvement progressif qu’on aime dans tout livre bien fait, un peu de langueur et de sécheresse ; une erreur de méthode se trahit par un défaut d’art. Je ne vois qu’un bon résultat obtenu par l’auteur, c’est d’avoir simplifié sa théorie et réduit ses huit caractères élémentaires du beau à trois : la puissance, la grandeur et l’ordre. Écartez la théorie platonicienne des types idéaux, et ce résultat, un peu vague, mais très solide, est justement celui où s’était arrêté Jouffroy.


III

Voilà notre rôle de contradicteur à peu près terminé, et nous n’avons plus qu’à signaler les vues les plus remarquables de l’auteur sur la théorie des beaux-arts. Il s’attache d’abord à déterminer le but de l’art en général, puis il traite successivement de chacun des beaux-arts, architecture et art des jardins, sculpture, peinture, musique et danse, poésie, éloquence.

On a singulièrement embrouillé de nos jours la question très simple du véritable objet des beaux-arts. En vérité, il y a des

  1. Notamment dans un livre remarquable de M. Chaignet, qui a obtenu une mention de l’Académie des Sciences morales et politiques, les Principes de la science du Beau, 1 vol. in-8o, chez Durand. Voyez aussi un intéressant écrit de M. Courdaveaux : Du Beau dans la nature et dans l’art, 1 vol. in-8o, chez Didier.