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créateur, et qu’enfin, selon qu’il se rapproche de ce type ou qu’il s’en éloigne, il s’élève dans l’échelle de la beauté ou s’enfonce dans les abîmes du désordre et de la laideur.

Je demanderai à M. Lévêque s’il suffit qu’un être soit conforme à l’idéal de son espèce pour être beau. La théorie répond que cela suffit ; mais alors l’auteur se contredit quand il avoue que certains animaux, tels que le pourceau, l’âne, le crapaud, manquent de beauté, car enfin il y a là, pour prendre les formules de l’auteur, il y a une force qui se développe selon l’ordre, selon le type divin. Et cependant le plus magnifique pourceau est laid, toujours laid, d’autant plus laid, si j’en juge par les produits de la dernière exposition d’animaux reproducteurs, que l’art de l’éleveur le ramène plus exactement à son idéal. Dans des espèces réputées plus belles, combien d’individus insignifians ou disgracieux qui pourtant ont toutes les qualités essentielles de l’espèce ? Le type nègre, par exemple, est-il beau ? La Vénus hottentote est-elle vraiment la déesse de la beauté ? Si vous dites que les noirs sont laids, vous supposez alors que le type divin de la beauté de l’homme comprend, outre les qualités essentielles de l’espèce, telle couleur déterminée, et même telle nuance dans la plus belle couleur. Et comme vous tenez aussi pour laid quiconque a les yeux obliques, ou le nez trop gros, ou le menton trop saillant, il faudra dire aussi que le type idéal de la beauté de l’homme enveloppe distinctement et expressément telle forme du nez, telle dimension de la bouche, telle conformation des yeux. Voyez alors que de conditions il faudra remplir pour ne pas être laid, pour être dans l’ordre ! « Une tête de moyenne grosseur, dit M. Lévêque, mais très allongée et fuyante par le haut ou très large, aplatie sur le front et à pommettes saillantes, des yeux tout à fait ronds ou longs, tirés et relevés à leur angle externe, comme ceux des Chinois, ou presque clos, comme l’étaient ceux de M. de Talleyrand, ou placés sur une ligne oblique, ou très rapprochés de la racine du nez, ou louches ; un nez fort long ou fort large et épaté, des lèvres grosses et épaisses, ou minces et serrées jusqu’à disparaître quand elles sont fermées ; la mâchoire proéminente, ou par sa partie supérieure, ou par sa partie inférieure, ou par l’une et l’autre à la fois ; une lèvre fendue en bec-de-lièvre, une bouche démesurée ou très petite, un menton saillant et recourbé comme celui de Polichinelle, un visage de femme couvert de barbe, tous ces caractères particuliers sont des traits de laideur, et tous sont des défauts d’unité, ou de proportion, ou de symétrie, ou de convenance, c’est-à-dire d’un seul mot, des infractions commises par la force Vitale contre sa loi, contre l’ordre qui est le sien[1]. »

  1. La Science du Beau, t. Ier, p. 289.