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et que, de ce même regard dont elle a échauffé notre cœur, elle avait d’abord éclairé et elle éclaire encore notre raison. Éveillée et illuminée, la raison reste de moitié dans tout le phénomène. Pendant que l’âme s’abandonne à la joie dont l’emplit la puissance, la raison contemple l’unité, la variété, l’harmonie, la proportion, l’ordre en un mot, qui circonscrivent cette puissance et l’empêchent de déborder. Comment donc l’âme serait-elle troublée ? comment bouleversée ? N’est-elle pas en société étroite et exclusive avec l’ordre, avec l’harmonie, avec la mesure ? Tout en elle se coordonne et s’équilibre. Aussi, dans sa jouissance du beau, nulle inquiétude, nulle crainte, surtout nul remords, nulle honte. Cette émotion céleste, l’admiration, n’est pas la passion ardente et déchaînée, ce n’est pas le désir irrité et violent, ce n’est pas le délire de la possession éperdue ; c’est cependant une sorte de passion, mais noble, mais pure, mais puissante, et qui, loin de dévaster l’âme qu’elle échauffe, la féconde comme féconde la terre le feu du soleil au printemps. L’admiration est le soleil de l’âme ; elle en développe les germes les plus riches et les plus cachés. Par cette grande et bienfaisante passion, l’activité est échauffée à son tour ; à son tour, elle fleurit et fructifie… » Quand on sent si fortement le beau, quand on sait trouver, pour en peindre les effets, un coloris si vif, un dessin si net et si pur, on est prédestiné à l’esthétique. Aussi M. Lévêque n’essaya-t-il pas de résister à son inclination, et son livre d’aujourd’hui est le fruit de vingt ans d’études poursuivies avec amour dans la retraite, la vie modeste, le silence et la paix.

Disons d’abord que le cadre que s’est tracé notre esthéticien philosophe est aussi vaste, aussi complet, aussi régulier qu’on puisse le désirer. Partisan déclaré de la méthode d’observation, il commence par analyser les effets du beau sur l’âme humaine, non-seulement sur notre intelligence et notre sensibilité, mais sur nos facultés actives ; c’est là ce qu’on peut appeler la psychologie du beau. Le rôle de l’observation et de l’analyse épuisé, la spéculation métaphysique remplit le sien : elle aspire à saisir la nature du beau considéré en lui-même et à mettre à nu ses élémens essentiels ; mais une formule générale n’est rien, tant qu’elle n’est pas éclaircie, contrôlée, vivifiée par les applications. Il faut poursuivre le beau à tous ses degrés, sous toutes ses formes, dans la nature inorganique, dans la nature vivante, dans l’homme, enfin dans la Divinité elle-même, origine première et dernier terme de toute beauté. Voilà le cercle du beau qui se referme. Cependant à côté du beau naturel que l’homme contemple, sans y mettre du sien, l’art crée tout un monde, aussi varié, aussi splendide que le monde réel. Il faut que l’esthétique entre dans cette nouvelle carrière et soumette