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lui, ne trouverait-elle pas ridicule un tel empressement ? Michel prit un moyen terme ; il irait à Alaise dans l’espoir de rencontrer Cyprienne, mais il ne se présenterait pas chez elle. Deux heures après, il arrivait au village. — à la bonne heure ! lui dit le premier villageois qu’il rencontra, tu bats le fer pendant qu’il est chaud. À quand cette noce ? — J’espère que tu vas nous faire danser ? lui dit un peu plus loin un jeune paysan. — M’as-tu déjà choisi un compagnon ? lui demanda une jeune fille. — Sept ou huit individus, hommes et femmes, travaillaient dans un champ au bord du chemin ; en apercevant Michel, tous se mirent à chanter :

Compère, embrasse ta commère
Aux lueurs de ces feux d’amour ;
Commère, embrasse ton compère,
Et puissiez-vous ensemble un jour
Vous marier à votre tour !


Michel, contrarié de voir son amour ainsi deviné, n’osa pas s’engager plus avant dans le village par crainte d’autres propos du même genre, et il prit un chemin qui conduisait dans les champs, où il erra tout le jour. Le soir, il rentra au Fori assez peu content de lui-même. Une nouvelle tentative faite le surlendemain ne réussit pas mieux ; Cyprienne était allée ce jour-là à Salins avec son père. Michel, qui s’était armé de courage, poussa hardiment jusqu’au jeu de quilles voisin de la maison de Cyprienne ; mais la porte resta close, et aucune fraîche figure ne se montra derrière les vitres. Le charbonnier ne sut rien, ne demanda rien, et il s’imagina que la jeune fille s’était cachée en l’apercevant. Il n’en fallait pas plus pour le faire renoncer à toute nouvelle poursuite.

Pendant que Michel s’abandonnait ainsi au découragement, le braconnier redoublait au contraire d’activité pour réparer son échec des Montfordes. Il demeurait fidèle à sa devise : brouter au lieu de bêler et ne pas perdre un seul coup de dent. Jamais il n’avait été plus assidu auprès de la jeune fille, et il ne reculait, pour l’amener à ses fins, devant aucun moyen. Il mentait surtout imperturbablement. À l’entendre, il ne chassait plus, ne pêchait plus : double sacrifice qui lui avait été bien pénible, mais devant lequel il n’avait néanmoins pas hésité un instant. Il se vantait et mentait ainsi en toute circonstance et à propos de tout. Un jour Cyprienne s’était blessée légèrement la main ; à la vue de quelques gouttes de sang, elle se crut tout à fait perdue. — Ah ! dit-elle à Gaspard en pleurant, si j’avais seulement de la souveraine !… Mais comment en avoir ? On dit qu’elle ne croît que sur les rochers du Lison et dans des endroits où il faut risquer sa vie. — La souveraine est le hieratium murorum.