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autres, les unes furieuses, les autres paralysées par la peur. Michel parut alors sur le seuil, haletant, ruisselant de sueur, les habits tout en lambeaux. — Est-ce tout ? demanda-t-il. Y en a-t-il encore ? — Encore cinq dans l’écurie du fond, — répondit un des paysans. L’intrépide jeune homme plongea dans une cuve pleine d’eau sa tête noircie et toute brûlante, et il s’apprêtait à rentrer dans l’écurie. — N’entre pas, Michel, crièrent vingt voix, n’entre pas ! le toit va tomber. — Je ne risque que mon corps, répondit-il ; je n’ai ni femme ni enfans. Puisse seulement le bon Dieu me pardonner mes fautes ! — Il se signa comme la première fois et de nouveau se précipita au milieu du gouffre qui vomissait des torrens de fumée chargée d’étincelles. Un bœuf encore sortit de l’écurie, mais déjà avec le poil à moitié brûlé, et presque au même instant un craquement épouvantable se fît entendre. Le toit tomba, entraînant dans sa chute une partie du plafond de l’écurie. Tous les assistans sentirent le frisson courir dans leurs veines, et de toutes les poitrines sortit le cri : « Il est perdu ! » Au bout d’une minute d’anxiété mortelle, à la grande joie de tous, Michel reparut encore, mais dans quel état ! Il avait les cheveux et les habits à moitié brûlés, et ressemblait à un fantôme plutôt qu’à un être vivant. — Décidément la mort ne veut pas de moi ! — dit-il à voix basse. Vingt seaux d’eau furent jetés sur ses habits ; on lui présenta de tous côtés du vin ; tous lui demandaient à la fois s’il était blessé ; la pauvre fermière faillit l’étouffer en l’embrassant. Michel était impatient d’échapper à toutes ces démonstrations. Il parvint à se dégager sous prétexte d’aller prendre un peu de repos dans une maison du village, et dès qu’il se vit seul, il se dirigea vers le Fori, où il n’arriva pas sans peine après une si rude épreuve, meurtri comme il l’était par les pieds et les cornes du bétail.

La nuit fut mauvaise. La fièvre et le délire s’emparèrent du pauvre garçon. Tombé dans une rivière de feu, il faisait des efforts surhumains pour en sortir ; mais au moment où il saisissait la berge, des bœufs furieux le rejetaient à coups de cornes dans la fournaise. Ce ne fut qu’au bout de quarante-huit heures que Michel revint à lui. Il se leva et voulut boire. Avait-il dans sa fièvre épuisé sa provision d’eau ? L’avait-il renversée ? Pas une goutte n’en restait. Colas était tout languissant, le bouvreuil de Cyprienne était mort de soif. Il fit fondre de la neige et but à longues gorgées. Tous, à Sarraz et à Alaise, vantaient son dévouement héroïque ; personne ne venait s’assurer s’il était mort ou vivant. La fermière dont il avait sauvé le bétail était absorbée par mille soins, et les autres habitans ne songeaient pas qu’il pût avoir besoin d’eux. Au bout de quelques jours, la pauvre femme commença cependant à s’inquiéter de n’avoir point