Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/375

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LE
PAYSAN D'ALAISE
RECIT JURASSIEN

La fête patronale du village d’Alaise est une des plus animées de tout le pays jurassien. Perdus en quelque sorte au milieu de leurs rochers et de leurs forêts ; les habitans d’Alaise n’ont guère que ce seul jour pour le plaisir. La fête tombe d’ailleurs au mois de juin, l’heureux mois qui ramène des chemins toujours secs, un ciel toujours pur, où tout dans le Jura est verdure, fleurs, fraîches eaux courantes, parfums et chansons ; vraie lune de miel entre l’homme et la nature, l’une toujours jeune, et l’autre rajeuni.

La configuration du pays d’Alaise est des plus étranges ; on n’y rencontre que brusques dépressions de terrain, ravins d’une effrayante profondeur, mamelons et rochers à pic, tout cela irrégulier, compliqué à l’infini. Deux villages seulement, et tous deux bien chétifs, Alaise et Sarraz, sont assis sur le massif énorme dont le Todeure et le Lison arrosent de tous côtés la base, soit par eux-mêmes, soit par leurs humbles affluens. Les cultures et les prairies sont en petit nombre ; la forêt tient presque toute la place, et elle est surtout curieuse par les débris des anciens âges qu’elle a conservés à la science, retranchemens gaulois ou romains, mardelles, abris de bivac, tombelles celtiques par milliers, monumens inestimables que la bêche et la charrue n’eussent pas manqué de détruire. Des centaines de ruisseaux et de filets d’eau coulent sur ce sol accidenté et s’enfoncent ça et là sous terre pour reparaître un peu plus loin. Rafraîchie et fécondée par toutes ces eaux vives, la forêt se hérisse