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même de celles-là ? Si telle maladie qui détruit par exemple anéantit une certaine faculté, pourquoi telle autre qui développe n’exciterait-elle pas une autre faculté ? Il y a des ophthalmies qui rendent aveugle, il y en a qui augmentent la sensibilité de la rétine jusqu’à rendre insupportable le rayon d’une lampe. Quelques affections de l’oreille font percevoir les plus faibles bruits. Ce sont des états maladifs, mais c’est le cas de ceux qui prêtent au merveilleux. Un médecin distingué, M. Moreau (de Tours), a tenté de démontrer que l’état de l’intelligence ne saurait jamais être plus parfait, que lorsque plusieurs maladies qu’il désigne sont réunies chez le même individu[1]. Il faut que sa constitution soit à la fois rachitique, scrofuleuse et névropathique, c’est-à-dire que par sa constitution il touche à la fois à l’idiotie et à la folie. Ainsi le génie ne saurait loger que dans un cerveau malade ; c’est une simple névrose, procédant comme toutes les autres, héréditaire comme elles, avec des transformations diverses, qui peut anéantir les facultés qu’elle ne développe point et qui guérit quelquefois. Les argumens de M. Moreau sont ingénieux, quoique sa métaphysique ne soit pas très sûre, et que ses exemples, surtout ceux qu’il tire de l’histoire, ne soient pas toujours concluans. Il veut trop prouver, et reconnaît si peu de cerveaux tout à fait sains qu’il est téméraire de le juger. C’est ce que nous ne ferons point ; mais, pour ne pas conclure tout à fait avec lui, nous n’en trouvons pas moins dans sa doctrine et dans ses observations médicales la preuve des nombreuses variations des facultés humaines sous l’influence des maladies du système nerveux, et l’explication de tous les faits qu’on pourrait prendre pour contraires à la physiologie.

L’analogie entre la maladie des trembleurs des Cévennes et les convulsions des habitués de Saint-Médard est évidente. Ce sont deux manières très analogues d’être fou, et il y en a autant que de manières d’avoir de l’esprit, autant que de maladies du cerveau, du système nerveux, de l’estomac ou de la poitrine. Il semble même qu’il y en ait bien plus, car les affections des autres organes n’ont qu’un très petit nombre de symptômes ; les douleurs qui les indiquent sont difficilement racontées et nuancées par le malade. Ici au contraire, les souffrances et les altérations sont aussi variées que les facultés intellectuelles, et le même organe atteint de la même façon, suivant que l’altération est devant ou derrière, dessus ou dessous, donne en réagissant sur les actions ou la parole des indications très diverses. Il y a entre les maladies de l’intelligence et les maladies ordinaires la même distance qu’entre la métaphysique et la physiologie, entre celle-ci et la physique. Une science est d’autant plus

  1. La Psychologie morbide dans ses rapports avec la philosophie de l’histoire, ou de l’Influence des Névropathies sur le dynamisme intellectuel.