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Les disciples de Turgot et de Say n’étaient alors pour le public que des malthusiens, La prévention était telle partout que le gouvernement provisoire se fit un mérite de supprimer la chaire d’économie politique au Collège de France.

Si des idées on passe aux actes, on n’en trouve qu’un seul à noter ; mais il est énorme : c’est l’unification des banques, qui a légalisé chez nous le monopole du crédit. La panique avait rendu irrémédiable la crise qui existait déjà dans le commerce parisien. Il y eut nécessité d’attribuer le cours forcé aux billets de la Banque. Un décret du 15 mars 1848 y pourvut. Exposées aux mêmes embarras, les neuf banques départementales réclamèrent la même faveur, qu’il était impossible de leur refuser. Les divers papiers de banque étant devenus monnaies légales, on ne tarda pas à constater les inconvéniens qu’il y avait à laisser circuler simultanément plusieurs de ces monnaies, qui, égales aux yeux de la loi, puisqu’on les recevait pour argent comptant dans les caisses publiques, n’auraient conservé néanmoins dans le commerce qu’une valeur mesurée sur la solidité présumée des établissemens qui les avaient émises. Qu’y avait-il à faire ? Imiter ce qui avait été fait en Angleterre pendant le cours forcé de 1797 à 1821 : attribuer seulement le caractère de monnaie légale aux billets de la banque centrale, et conserver l’individualité des autres banques en leur procurant le moyen de rembourser leurs propres billets avec le. papier de l’établissement régulateur[1]. On trouva plus simple de réunir toutes les banques ayant droit d’émission en une seule, ce qui exclut toute idée de concurrence en matière de crédit, jusqu’au moment où les yeux seront suffisamment ouverts sur les dangers de ce système. Cette réunion, que la haute banque de Paris avait toujours ambitionnée sans oser la demander, même aux jours de sa plus grande influence, elle l’obtint d’une révolution démocratique sans peut-être avoir besoin d’y aider. Comme il se rattachait à cette unité en matière de banque quelque habitude de tutelle administrative ou quelque préoccupation d’organiser le crédit, ce fut la démocratie qui prit la peine, au lendemain de sa victoire, de bâtir le camp retranché du monopole ! Au point de vue de la vraie science, comme de la pratique éprouvée du crédit, c’était une faute. Au point de vue de la politique, c’était la plus fausse manœuvre que des hommes de parti pussent commettre.

Dans les deux assemblées républicaines où se trouvaient tant de lumières sur beaucoup de points et tant de bon vouloir, l’efficacité de la liberté économique, comme moyen de progrès au profit des

  1. Par ce procédé, l’Angleterre a eu vers 1817 une émission de 750 millions de francs avec cours forcé, et de 400 millions émis par les autres banques, avec cours non forcé.