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III. — APRES 1848.

Si l’on pouvait conserver quelques doutes sur les causes de la révolution de février, il suffirait de se rappeler l’aspect des premiers jours. Il n’y avait plus qu’un seul personnage en vue, le travailleur ; qu’un seul ressort dans la société, la main-d’œuvre ; qu’un seul problème à résoudre, l’affranchissement du prolétaire. Tout ce qui s’essayait ou se disait venait aboutir à ce nœud, et, remarquons-le bien, cela n’était pas un sentiment de commande imposé par le parti victorieux : l’adhésion de toutes les classes était retentissante, sincère le plus souvent, et le travailleur n’avait plus qu’à s’épanouir dans son succès. Mais l’intention ne suffit pas pour vider un problème. Ceux à qui les circonstances avaient donné la parole pour fournir les solutions étaient des orateurs ou des écrivains d’opposition, subordonnant tout à des théories de droit constitutionnel, dévoués cordialement sans doute aux intérêts populaires, mais ne saisissant pas mieux que leurs devanciers l’action incessante de l’économie industrielle sur l’incident politique, et trop disposés à croire qu’une loi est vivante pour être écrite sur le papier ; ou bien encore c’étaient des socialistes, c’est-à-dire des réformateurs instinctifs, voués à la recherche du bien-être matériel au moyen d’une organisation du travail, comme on cherchait autrefois la pierre philosophale. Ceux-ci surtout avaient prise sur les masses, parce qu’ils avaient le mérite d’avoir signalé les premiers l’inévitable émancipation du prolétariat. Jamais n’était entrée dans leurs esprits cette idée si simple, que si on peut créer des privilèges pour un petit groupe, on ne peut pas privilégier le plus grand nombre, et qu’à la multitude on ne peut donner que la liberté. Leurs erreurs mêmes, leurs préventions contre la liberté, devenaient un puissant moyen de propagande, car, en présupposant toujours un état initiateur et régulateur, ils répondaient à une espèce d’infirmité endémique chez nous, et dont l’origine remonte sans doute aux temps de la subordination féodale.

Quant aux économistes, ces amans platoniques de la liberté, ils n’avaient pas la parole. Ils la prenaient néanmoins dans quelques clubs. Qu’ils me pardonnent de le dire : ils y étaient assez maladroits, comme pouvaient être des hommes de cabinet ou d’académie, sans contact jusqu’alors avec les populations ouvrières. Je me rappelle des discours pleins des meilleures choses, débités avec la voix tonnante et la vertueuse indignation d’un prédicateur. Les auditeurs comprenaient peu et sortaient avant la fin du sermon.