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est déraisonnable, et que cependant, à travers tant de conflits politiques, il ne peut pas prêter les mains au déchirement de la majorité. Courbé sous le joug qu’on lui impose, il porte le projet amendé au Luxembourg. Là le bon sens reprend ses droits pour un instant. Bien que le système protecteur soit une de ses utopies conservatrices, la chambre des pairs reconnaît que les partisans du colza vont trop loin, et qu’ils ont besoin d’une leçon. Elle manifeste l’intention de revenir au projet primitif du gouvernement, comme pour aider le pouvoir à se relever de l’humiliation qu’on lui a infligée ; mais cette force souveraine qui peut briser les ministères réside dans la seconde chambre, et c’est avec elle qu’il faut compter. À la tribune du Luxembourg, M. Duchâtel se résigne à prendre plusieurs fois la parole pour soutenir l’amendement Darblay, et il partage avec ses collègues le triste honneur de faire abandonner le système qui émanait du gouvernement.

Depuis l’emploi des nouvelles forces motrices et les essais de voies ferrées, la houille était devenue le grand ressort de l’industrie : l’exploitation des mines touchait d’ailleurs dans leurs moyens d’existence un nombre considérable d’individus. Parut en 1846 la grande compagnie des mines de la Loire, qui, sur soixante-cinq concessions que contenait le bassin, en acheta trente pour les réunir en une seule, contrairement à l’esprit de la loi. En réponse aux réclamations qui ne manquèrent pas d’éclater, la compagnie exposa dans un mémoire justificatif qu’on ne pouvait lui reprocher de créer le précédent, qu’elle bénéficiait de la tolérance accordée aux autres, et elle citait huit autres compagnies qui, au moyen des agglomérations dont on lui faisait un crime, possédaient paisiblement 124,000 hectares. Les meilleurs amis du gouvernement furent alarmés : ils sentaient qu’un aussi vaste monopole était fait pour inquiéter le monde industriel et semer des causes d’irritation parmi les populations locales. Le député de Saint-Étienne, quoique protectioniste fougueux, M. Lanyer, adressa des interpellations au ministère, et M. François Delessert prit l’initiative d’une proposition tendant à réprimer l’abus signalé. La commission nommée par la chambre fut tellement émue à l’examen des faits, qu’elle ne craignit pas de conclure à l’illégalité de toutes les réunions précédemment effectuées, et de déclarer qu’une révision de la législation concernant les mines était urgente. C’était une montagne à remuer, tant les intérêts à déplacer étaient considérables et groupés savamment. Le ministère laissa passer la session de 1847 sans donner suite à la proposition de M. François Delessert, et légua au régime suivant son embarras et son indécision[1].

  1. Les clameurs des populations ne cessèrent pas pendant huit ans : ce n’est pas ici le lieu d’examiner jusqu’à quel point elles étaient fondées. On les apaisa en 1854 en subdivisant la compagnie des mines de la Loire en quatre groupes, constitués à l’état de sociétés distinctes avec des administrations spéciales.