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formées suivant un type convenu, et patronnées par des gens dont la notabilité et la prépondérance financière offrent une sorte de caution au pouvoir. Cela enlève toute chance de réussite aux gens obscurs.

Pendant les trois ans de fièvre industrielle qui suivirent l’année 1836, le gouvernement autorisa deux fois plus de sociétés anonymes que pendant les quinze ans de la restauration, vingt fois plus que pendant tout l’empire. Les spéculateurs dont les sollicitations furent repoussées, ceux qui ne demandaient pas même l’anonymat, n’ayant aucun espoir de l’obtenir, furent sans doute en nombre incalculable. Était-il possible qu’ils renonçassent à leurs illusions, qu’ils éteignissent leur activité ? Non. Le code autorisait la commandite par actions : on prit la loi à la lettre pour en fausser l’esprit. On inaugura la commandite par petites actions au porteur, qui est une forme corrompue de la société anonyme. Constatons la différence. Dans l’anonymat, le capital choisit la direction, et son intérêt est de découvrir le mérite et la probité ; dans la commandite, c’est un gérant qui cherche le capital : ce sont des inconnus qui s’adressent à des inconnus pour leur demander leur argent, et, cela est triste à dire, les plus grandes chances de réussite sont pour ceux qui poussent le plus loin le charlatanisme de la réclame et l’impudence de leur habileté prétendue. Des commandites de ce genre, multipliées à l’infini vers 1838, donnèrent lieu à un scandaleux débordement d’agiotage : on s’en émut d’autant plus que le mal semblait être d’une espèce nouvelle. Le gouvernement fut mis en demeure d’intervenir : il le fit avec une franchise naïve. Considérant que l’interprétation donnée à l’article 38 du code de commerce faussait l’esprit de la loi, il proposa tout simplement de supprimer la commandite par actions négociables à la Bourse. Telle était la portée d’un projet de loi présenté dans la session de 1838.

Une pareille loi aurait été inexécutable, car il en serait résulté que toute société par actions au porteur devant nécessairement revêtir la forme anonyme, il n’y aurait plus eu d’opération collective qui ne fût subordonnée à l’autorisation préalable du gouvernement. Le haut commerce, représenté dans les chambres par des hommes très habiles, comprit que le projet ministériel était inadmissible. La commission, qui avait M. Legentil pour rapporteur, admit le droit de donner pour base à la commandite des actions au porteur et négociables ; mais elle entourait de tant de difficultés la formation des sociétés de ce genre, qu’elles auraient cessé d’être une concurrence importune pour les heureux promoteurs des compagnies anonymes. Il est probable que les débats auraient fait sentir l’impossibilité de supprimer la commandite sans émanciper quelque peu la société