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lorsque les compagnies commerciales proprement dites n’existaient qu’à l’état d’exception, et par le bon plaisir du souverain, il y avait des seigneurs, des bourgeois enrichis, qui étaient bien aises de participer aux profits du commerce ; ils livraient quelque argent à un homme de leur confiance, et celui-ci, connu seul du public, avait la gérance absolue et la responsabilité vis-à-vis du tiers. C’était la commandite. L’émancipation démocratique de 1789 amena une autre forme, la plus simple et la plus rationnelle de toutes : en présence d’une opération dépassant les forces individuelles, on réunit de petites sommes pour former un capital suffisant, puis les intéressés pourvoient au bon emploi de leur argent en choisissant, suivant des formes convenues, les administrateurs les plus capables, en se réservant surtout le pouvoir de les contrôler, de les révoquer s’il y a lieu. Telle est la société anonyme dans son essence.

Il n’est pas dans les instincts des jurisconsultes de calculer les profits de la liberté. Leur préoccupation, quand ils rédigent une loi, est de prévoir les abus qu’on en peut faire. » Obligés d’admettre le nouveau type d’association dont la Banque de France offrait d’ailleurs un remarquable exemple, les rédacteurs du code de 1807 se demandèrent si l’existence des sociétés anonymes ne devait pas être subordonnée à l’autorisation de l’état. « Pourquoi cette condition indéfinie ? demanda Treilhard[1] ; ne suffirait-il pas de la limiter aux sociétés anonymes qui ont quelque rapport avec l’ordre public ou avec l’état, et ne pas l’étendre à celles qui sont d’un intérêt particulier ? » À cette observation d’un esprit judicieux et indépendant, Defermon opposa un argument irréfutable : l’empereur avait prévenu la décision. « Frappé de l’inconvénient d’abandonner aux particuliers les sociétés anonymes, il avait donné l’ordre à son ministre de l’intérieur de lui faire un rapport sur toutes les associations de cette nature, et de soumettre à son approbation les actes qui les constituaient[2]. » En effet, un décret du 16 janvier 1808 obligea, sous peine d’interdiction, les sociétés anonymes qui existaient alors à se faire autoriser. Ainsi entra dans notre législation un règlement qui devait comprimer plus tard la seule forme d’association qui soit féconde, la seule qui soit propre à émanciper la démocratie. On n’y fit sans doute pas beaucoup d’attention pour le moment, car notre code commercial fut rédigé à une époque où le commerce était peu de chose comparativement à ce qu’il est devenu depuis. Je ne trouve pour tout l’empire que six compagnies anonymes autorisées, y compris la Banque de France. Les cinq autres étaient l’entreprise des

  1. Voir à ce sujet Locré, Esprit du Code de Commerce, 1807, t. Ier.
  2. Locré, ibid.