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chercher cette matière indispensable à nos manufactures dans les entrepôts de l’Espagne et de l’Angleterre[1].

Après la loi du 17 mai 1826, le régime prohibitif se trouva complété chez nous. Il préexistait dans les instincts de notre population industrielle, et il avait été préparé par diverses mesures des gouvernemens antérieurs. Le gouvernement de la restauration le constitua à l’état de doctrine politique. Il serait peut-être bien rigoureux d’en faire un grief contre lui. Propriétaires, commerçans, manufacturiers, armateurs, compagnies financières, comités industriels, chambres de commerce, la droite et la gauche parlementaires, la publicité presque sans exception, exerçaient sur lui une pression incessante. À toutes les belles phrases sur la protection du travail national, sur l’affranchissement des tributs payés à l’étranger, la foule sans nom et sans voix ne savait qu’applaudir. D’ailleurs l’industrie prenait à vue d’œil un essor qui pouvait faire illusion. Elle accomplissait depuis 1820 un mouvement de transformation des plus curieux. Renonçant à ces bénéfices de 20 ou 30 pour 100, qui lui rapportaient peu en définitive, parce qu’on ne vendait pas beaucoup, elle adoptait les moteurs puissans, perfectionnait son outillage ; elle s’organisait, suivant la méthode anglaise, pour produire beaucoup et s’enrichir par de petits bénéfices sur des objets à bon marché vendus par grandes masses. Les usines de tout genre qu’on improvisait, les canaux à creuser, les compagnies financières, la nouveauté de grands emprunts réalisés facilement, l’amélioration des finances publiques, les progrès évidens du bien-être, entretenaient une animation séduisante. Pour se défier du système, il fallait être un de ces rêveurs qui poussent à bout leurs analyses impitoyables en dépit des préjugés et des apparences.

Cependant, à partir des deux dernières années de la restauration, le doute commençait à se glisser dans les conseils du gouvernement. On entrevoyait que si l’on continuait à surévaluer d’un côté les alimens, de l’autre les étoffes, ici les bois et là les fers, il résulterait de tout cela un enchérissement général qui ne serait peut-être point toujours compensé par de bons salaires. L’étranger entrait d’ailleurs dans la voie des représailles : l’Espagne, la Suisse, le Piémont, la Hollande, la Prusse, la Bavière, Bade, le Wurtemberg, la Suède, répondaient à nos prohibitions en repoussant nos vins et nos soieries. À un autre point de vue, il devenait évident que la bourgeoisie industrielle, imprégnée des idées libérales, ne tarderait pas à être

  1. J’ai emprunté largement, pour ce qui concerne notre législation douanière, à un excellent livre intitulé Études économiques sur les Tarifs de douanes, par M. Amé, directeur des douanes à Paris. C’est un de ces rares écrits qui épuisent une matière et portent la conviction dans les esprits.