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ressources pour l’industrie négligée, ou il n’en a pas. Dans ce dernier cas, ce qu’il y a de mieux à faire est de ne pas se raidir contre la nature des choses. Si au contraire les circonstances sont favorables, les étrangers ne manquent pas de venir pour en tirer parti. Les Anglais avaient probablement bonne idée de nos ressources métallurgiques, puisqu’ils commençaient à venir pour les exploiter. Ils élevaient des usines à l’embouchure des grandes rivières, à Nantes, à Rouen, à Bordeaux. Nos maîtres de forges leur reprochaient avec un aveuglement jaloux de n’emprunter à la France que son sol, d’amener d’Angleterre les capitaux, les outils, les fontes, les ouvriers. Il aurait fallu les remercier : c’étaient des professeurs qui venaient nous instruire, et dont les leçons méritaient d’être payées.

La spéculation des étrangers qui venaient s’établir chez nous avait pour base la différence dans les prix de la fonte anglaise obtenue à la houille et de la fonte française au bois, ce qui, avec des procédés perfectionnés pour l’affinage et l’étirage, promettait de beaux bénéfices. La loi douanière de 1822 renversa cette combinaison. Le ministre, cédant aux sollicitations, avait consenti à présenter un projet augmentant le droit sur les fontes de 22 à 88 francs et le droit sur les gros fers de 165 francs à 246 francs la tonne. La commission, toujours poussée à enchérir sur le gouvernement, éleva les droits à 99 francs sur les fontes et à 275 francs pour les fers, ce qui frappait d’une augmentation d’environ 120 pour 100 la valeur naturelle des articles anglais. Les divers produits ayant le fer pour élément étaient surtaxés dans la même proportion. Un mémoire de Héron de Villefosse, un de ces vieux écrits qu’on aime à relire, parce que la science s’y présente avec les caractères d’une profonde honnêteté, nous permet d’apprécier les résultats de cette tarification nouvelle. Dans la supposition qu’une industrie vitale affranchie, ou à peu près, de la concurrence devait donner de gros bénéfices, les capitalistes s’y étaient précipités avec entraînement. On estime à 30 ou 40 millions les sommes aussitôt offertes pour fonder des usines. Comme les spéculateurs sont impatiens de jouir, on consacra presque tous ces capitaux à l’opération la plus facile : on multiplia les forges à la houille et au laminoir. L’essentiel aurait été le traitement de la fonte à la houille ; mais cette opération exige une installation longue et dispendieuse : elle ne devient avantageuse que lorsqu’on a la houille à très bas prix, soit qu’on la trouve sur place, soit qu’on dispose d’une bonne canalisation. En 1822, ces conditions n’étaient pas faciles à réaliser : il se forma très peu de hauts-fourneaux suivant la méthode anglaise. À défaut de fonte au charbon de terre, les nouvelles affineries se disputèrent les fontes au charbon de bois, qui atteignirent des prix excessifs. La multiplication des