Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/32

Cette page n’a pas encore été corrigée
28
REVUE DES DEUX MONDES.



Scène IV

FRANGINE, seule.

S’il n’était pas si malheureux, je le ferais renvoyer ; mais, si j’en parle à mon père… Il vaudrait mieux lui parler de Bernard ;… mais j’ai peur qu’il ne se fâche. Sans doute que demain il recevra la lettre.

— Qu’est-ce qu’il a donc été faire ce soir chez notre cousin Antoine ? Elle a fini de ranger le souper d’André. Regardant la bouteille. Tiens, il n’a pas bu sa goutte ! Il était donc bien pressé de sortir ? Je vas lui laisser sa bouteille, il voudra boire en rentrant. Le drac revient sans bruit. Francine a pris son ouvrage, une petite voile qu’elle raccommode.


Scène V

LE DRAC, FRANGINE.
FRANCINE, s’asseyant.

Ah ! que je suis lasse ! J’ai eu tant de secousses aujourd’hui ! Elle appuie sa tête dans ses mains, le drac approche et casse son fil. Revenant à elle et reprenant son ouvrage. Allons, il ne faut pas dormir ! Tiens, j’ai cassé mon fil ! Elle le raccommode. Et d’ailleurs je ne veux plus penser à tout ça, j’en deviendrais malade !… Elle s’assoupit, le drac noue le fil deux ou trois fois. S’éveillant : Ah bien ! j’en ai fait des nœuds !… Où diantre j’avais-t-il la tête ?… C’est comme si j’étais enchantée ! Tout danse autour de moi ! Elle s’endort

LE DRAC, didascalie

« C’est l’heure charmante où mon esprit domine et persuade le tien, ô Francine, perle des rivages ! C’est l’heure où le soleil, plongé dans la mer, embrase encore le ciel rose où tremble l’étoile d’argent ; c’est l’heure du doute et du rêve, c’est l’heure de la vision ailée !

« Écoute la brise marine qui te berce et le faible remous du flot sur le sable : c’est la plainte du sylphe qui approche, c’est le soupir de l’esprit qui te cherche. Écoute le cri saccadé de la cigale attardée dans les roseaux : c’est l’ardent appel de l’époux mystérieux qui t’attend !

« Quitte cette terre de faiblesse et de souffrance, viens sur les flots toujours émus, toujours vivans ! viens avec ceux qui sont toujours jeunes. Je te conduirai dans le royaume des merveilles, dans le palais transparent des elfes, sous le dais de corail des ondines !

« Viens, et tu auras la science de toutes choses, tu liras dans la pensée de toutes les créatures, depuis la fantaisie de l’insecte qui vole de fleur en fleur jusqu’à la plus secrète pensée de l’homme ; tu entendras la respiration profonde de la pierre écrasée sous la pierre,