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En raison de son origine, la députation devait tendre à représenter d’une manière exclusive un seul intérêt, celui des parvenus de la classe moyenne, de ce groupe qui s’est tiré de la foule et qui aspire à s’isoler encore. Une classe appelée par la force des choses à composer toujours la majorité dans la chambre élective est souveraine dans toute l’ampleur du mot, et quand elle fait des concessions politiques au pouvoir exécutif, c’est que celui-ci lui fait des concessions d’intérêt matériel. Le gouvernement des classes moyennes, comme on a dit longtemps, était en théorie une conception séduisante. Dans ces régions intermédiaires de la société se trouvent plus qu’ailleurs le savoir, l’expérience, la décence dans la vie privée, l’indépendance de fortune, la notion des choses politiques. Tout serait pour le mieux, si les assemblées délibérantes n’avaient à discuter que des problèmes de droit public. Malheureusement à côté de la politique proprement dite, où la conscience est éclairée et le patriotisme inflexible, il y a une large place pour les questions intéressant la production, le crédit, le négoce, et sur ce terrain le tribun de la veille redevient sans s’en douter agriculteur ou industriel, banquier ou notaire. Ce contraste est surtout frappant dans les annales parlementaires de la restauration. Rien de plus passionné, de plus émouvant qu’un débat politique où un grand principe est en cause, et à cet égard nos pères pouvaient être fiers de ce système électoral qui donnait à la liberté des théoriciens si éloquens, des lutteurs si énergiques. L’ordre du jour du lendemain appelait-il une question de douane ou de fiscalité industrielle, les deux camps se rapprochaient instinctivement et se trouvaient d’accord pour la régler. Manuel votait ce jour-là avec M. de La Bourdonnaye. Ainsi alternaient en s’emboîtant pour ainsi dire l’une dans l’autre deux catégories de séances, les unes retentissantes et qui seules ont laissé des souvenirs, les autres si calmes que les historiens les ont à peine mentionnées. Dans ces dernières séances cependant étaient en germes la plupart des gros événemens accomplis depuis une douzaine d’années sous nos yeux.

Un des plus curieux exemples de cette incurie en matière économique vient ici à sa place. À l’origine du consulat, on avait imaginé, sous prétexte de discipline, de soumettre à l’obligation du cautionnement les officiers ministériels en même temps que les agens financiers. Cette mesure n’était pas autre chose qu’un emprunt déguisé ; le gouvernement du moins n’avait pas aliéné sa liberté, et on aurait pu modifier les cadres de ces corporations sans violer aucun droit. En 1815, les embarras financiers n’étaient pas moins grands qu’au commencement du siècle. On avait à la vérité un embryon de budget, mais les charges extraordinaires étaient écrasantes. Outre l’ancien arriéré,