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alliés en pleine paix le règlement qui n’avait été jusqu’alors qu’une arme de guerre contre les ennemis. « Quelques jours de prohibition seulement, disaient nos fabricans par la voix de M. Émeric David, rapporteur du projet de loi à la chambre des députés, quelques jours de répit pour nous laisser le temps de nous reconnaître et de nous mettre sur la défensive ! » Les quelques jours furent accordés, et c’est ainsi que la prohibition, qui n’avait été depuis 1790 qu’un accident, entra d’une manière avouée dans la législation douanière.

Si les cent-jours ont laissé trace dans notre histoire économique, c’est par contre-coup. Humiliés de la défection presque générale de ce peuple qu’ils connaissaient si peu, les royalistes étaient revenus animés d’une sourde colère, bien résolus à ne plus marchander avec l’opinion et à imposer d’autorité les institutions ou les expédiens de nature à protéger le trône. Le moyen le plus simple en apparence était de créer autour du monarque une phalange conservatrice, d’adosser le trône à une aristocratie, comme disait le général Foy avec son énergique concision. « Sans privilèges, la pairie est un mot vide de sens, écrivait Chateaubriand dans son célèbre ouvrage de la Monarchie selon la Charte ; il manque à la chambre des pairs des privilèges, des honneurs, de la fortune, » et la plus grande partie du livre semble être le commentaire de ce passage. Mais une aristocratie vigoureuse, apte à jouer un rôle politique, ne s’improvise pas. Il faut qu’elle ait ses racines dans une tradition respectée, et qu’elle puise sa sève dans un subtil agencement d’intérêts. Le public de 1815 était trop en garde contre le retour de l’ancien régime pour qu’il fût facile de reconstituer ostensiblement des privilèges ; d’ailleurs le principe de la nouvelle loi électorale, le cens à 300 francs d’impôts directs, était un germe de mort pour une noblesse politique telle que la concevait la monarchie restaurée.

Les hommes d’état du jour, bien qu’ils eussent les yeux incessamment tournés vers l’Angleterre, n’avaient pas vu ce qui faisait la force de l’aristocratie britannique. Celle-ci était forte, non pas parce qu’elle formait un corps spécial dans l’état, mais parce qu’elle était assez représentée dans la seconde chambre pour y défendre ses prérogatives. Les députés des comtés étaient en grande partie les siens, surtout à l’époque des bourgs pourris. L’industrie, le commerce, la science avaient plus particulièrement pour organes les députés des villes, des bourgs, des universités. Bien que cette combinaison ait été profondément altérée par l’effet des diverses réformes électorales, elle subsiste en principe, protégée par un respect traditionnel.

En France au contraire, où le cens de 300 francs était la seule condition de l’électorat, il n’y avait pas de place dans la seconde chambre pour une représentation spéciale de l’élément aristocratique.