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sur les bancs et jusque sous les tables. Quelques maîtres de cabarets en plein vent ont toutes les peines du monde, à l’époque des courses d’Epsom, à se débarrasser de leurs pratiques durant la nuit. L’un d’eux, qui avait besoin de fermer boutique vers deux heures du matin, avertit les traînards qu’ils eussent à se retirer. Il se trouvait parmi eux un vigoureux gaillard, connu sous le nom de roi des tramps, qui refusa net d’obéir. Le maître du booth, qui était lui-même un Anglais robuste, lui jeta tout un seau d’eau à la tête, et, profitant de l’état de stupeur dans lequel se trouvait l’autre à la suite de cette aspersion, il le poussa violemment dehors par les épaules. Le roi des tramps fit entendre des menaces terribles ; en effet, avant la fin des courses, la baraque était détruite par les flammes. Cet acte sauvage ne rétablit pourtant point auprès de ses confrères la réputation du roi ; il avait reçu un affront dont il ne se releva point, et, la nuit même où la baraque prenait feu, sa majesté vagabonde était brûlée en effigie sur les dunes. Évidemment toute cette population nomade est attirée à Epsom pour un but ; quel est ce but ? D’abord elle vient voir les courses, car elle professe la plus grande estime pour le noble art de horsemanship (équitation) ; ensuite elle cherche sous toutes les formes à ramasser quelques sous. Parmi les tramps, les uns vendent, toute sorte de choses, telles que des nez de carton et de faux favoris pour ceux qui veulent se déguiser pendant la fête ; d’autres chantent, d’autres mendient. Nous rencontrâmes avec le sergent de police sur la bruyère un homme qui faisait semblant d’avoir perdu la vue et de se faire conduire par son chien. « Ah çà ! l’homme, lui dit le sergent, vous n’êtes point du tout aveugle. — Il est vrai, reprit l’autre, ouvrant tout à fait les yeux, comme s’il avait reconnu au ton impératif de son interlocuteur qu’il était inutile de feindre ; mais ce n’est point tout que de songer au présent, vous savez qu’il faut aussi prévoir l’avenir. Je me fais plus vieux tous les jours, et je puis bien perdre la vue dans quelques années d’ici : c’est un accident contre lequel je prends mes précautions en apprenant à mon chien à me conduire. Les chiens d’aveugle sont d’ailleurs très recherchés depuis quelque temps, et, s’il ne sert point pour moi, il servira pour un autre. » On peut par là se faire une idée de tous les artifices auxquels a recours le tramp sur le terrain des courses pour se procurer des moyens de vivre.

L’institution du turf manquerait en Angleterre d’un couronnement nécessaire, s’il ne s’y superposait une assemblée d’hommes qui fassent autorité en matière de sport et qui jouissent d’une haute situation dans le monde. Il y a bien, comme nous l’avons vu, Tattersall’s qui imprime le ton aux transactions d’argent ; mais il fallait en outre un conseil qui eût la haute main sur le gouvernement des courses. Ce