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seraient curieux de connaître ces naïfs monumens de la verve populaire doivent consulter Ritson’s Poetic Garland.

À la queue des existences excentriques et bizarres qu’on trouve greffées sur le turf, je ne dois pas oublier le tramp. Le tramp est une institution sociale de la vieille Angleterre, — une institution, je l’avoue, qu’elle verrait tomber sans peine, mais qui menace au contraire de s’accroître. On donne le nom de tramps à une classe d’hommes indéterminée qui vit plus ou moins à l’état de vagabondage. Le gouvernement anglais a publié dans le Blue book de 1848 un rapport très intéressant sur la vie, les mœurs et même sur l’organisation de ces bohémiens anglais. On évalue leur nombre à plus de soixante-cinq mille. Combien sur cette quantité suivent les courses de chevaux ? C’est une proportion qu’il serait difficile d’établir. On peut cependant se faire une idée de leur prédilection pour le turf en voyant la multitude en haillons qui couvre les dunes d’Epsom durant la nuit qui précède le Derby. Il serait dangereux de s’aventurer alors dans leur royaume ténébreux sans l’assistance d’un sergent de police. La sombre bruyère présente pourtant au loin un spectacle unique avec ses hauteurs couronnées de feux de bivacs. Chacun de ces feux, alimenté par des ronces sèches et des broussailles, est entouré d’une vingtaine de night tramps (vagabonds de nuit), hommes et femmes, dont les uns sont étendus par terre et ont l’air de sommeiller, tandis que les autres, assis sur l’herbe, présentent à la flamme leurs traits durs, leurs visages bronzés et leur contenance taciturne. On dirait, suivant la réflexion du sergent qui m’accompagnait, il y a deux ans, dans cette ronde de nuit, que les derniers ont contracté l’habitude de dormir tout éveillés. Il ne faut point confondre ces groupes de tramps avec les groupes de gypsies qui ont aussi leurs feux et qui ont planté dans différens quartiers leur ville » de tentes. Aucune alliance réelle n’existe entre le noble sang de Pharaon et celui des Indiens blancs, — comme on appelle quelquefois les vagabonds anglais. Tout le monde pourtant ne couche point à la belle ou à la vilaine étoile. Il y a des hangars construits en planches sous le toit desquels se rassemble l’aristocratie des tramps. Quelques-unes de ces baraques portent même le nom prétentieux d’hôtels. Voici par exemple l’Irish hotel (hôtel Irlandais), dans lequel les voyageurs, hommes, femmes, enfans, couchent pêle-mêle, formant un inextricable monceau de têtes, de bras et de jambes étendus dans toutes les directions. Ces hangars servent de dortoirs pour les hommes pendant la nuit et d’écuries pendant le jour poulies chevaux. Vous rencontrez de plus les baraques des rafraîchissemens (booths), dans lesquelles certains habitués se tiennent attablés toute la nuit, tandis que d’autres dorment bruyamment sur les tonneaux,