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autres. C’est ainsi que le duc d’York, le prince de Galles (plus tard George IV) et beaucoup d’autres grands seigneurs anglais, qui ont laissé des déficit énormes, n’ont jamais manqué d’acquitter sur-le-champ les paris qu’ils avaient contractés pour les courses.

L’origine de cette manie du betting a fort occupé les historiens du turf. D’abord elle est dans le caractère anglais : je rencontrai un jour deux enfans qui se disputaient sur la valeur relative de leur balle. L’un d’eux s’écria en fouillant dans sa poche : « Je parie six pence que la mienne rebondira plus haut que la tienne… » Il s’arrêta, car à son grand désappointement la poche était vide. « Eh bien ! reprit-il résolument, je parie ma casquette ! » On parie de bonne heure et sur toute chose en Angleterre. Est-il dès lors surprenant que le turf, qui depuis longtemps attire à un si haut point l’attention des Anglais, ait donné lieu à des transactions aléatoires. Dans les commencemens, c’étaient des défis entre un cheval et un autre cheval. Plus tard les assistans prirent un intérêt dans ces sortes de conjectures et cherchèrent à désigner d’avance le vainqueur au milieu du groupe des concurrens. Cette ardeur de prédire et d’escompter les succès des chevaux de course se répandit ensuite dans la ville, jusqu’à ce que les ouvriers dans les ateliers, les enfans dans les écoles, les domestiques dans les cuisines, prissent l’habitude d’échanger des paris entre eux à la veille du Derby. Ce qu’il y a de nouveau, c’est la science et la méthode qui se sont introduites avec le temps dans cette forme de jeu. Les turfites recherchèrent naturellement les moyens de réduire leurs chances de perte, et de cette étude résulta un système qui est aujourd’hui connu sous le nom de book making (l’art de faire un livre.) Une autre chose également nouvelle est l’existence d’une classe d’hommes qui vit entièrement des paris du turf. Je range ces derniers parmi les parasites, et il me serait difficile de leur donner un autre nom. Qu’on n’aille pourtant pas croire que la vie du bettor soit une vie de désœuvrement : cet homme qui n’a rien à faire est très occupé. Il est sans cesse sur le qui-vive, ou, comme disent les Anglais, sur le look out. Son symbole est l’œil qui figure en tête d’un journal de sport, le Bell’s Life in London, avec cette inscription : Nunquam dormio. Il assiste à toutes les courses, voyage d’une extrémité à l’autre de l’Angleterre, affronte toutes les températures et défie les brises sifflantes du nord-est dans les bruyères de Newmarket. Il a en outre des émissaires et des correspondans dont il contrôle les rapports avec la plus scrupuleuse attention. Sans cesse aux aguets, il recueille toutes les nouvelles du turf, consulte le racing calendar (calendrier des courses) et calcule toutes les chances. Entrez en conversation avec lui : il vous paraîtra peut-être étroit dans ses idées et très ignorant de ce qui intéresse les artistes ou les gens du monde ; mais placez-le