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REVUE DES DEUX MONDES.

Tu ne sais pas ce que c’est pour un simple matelot parti il y a deux ans… Faut qu’il ait fait quéque chose de très joli, pas moins !

LE DRAC

Eh bien !… qu’est-ce que vous allez faire, vous ?

ANDRÉ

Je vas… Quéque ça te fait, à toi ?

LE DRAC

Vous ne pouvez pas aller tout seul au port !

ANDRÉ

Tu me crois trop vieux pour mener ma barque ? Blanc-bec ! t’étais pas né que…

LE DRAC

Envoyez-moi ! j’irai plus vite que vous !

ANDRÉ

Non ! Tu ne sais pas ce que je veux faire.

LE DRAC

Vous voulez ramener Bernard ici !

ANDRÉ

Oui, quand j’aurai vu le ruban rouge et parlé à son capitaine ! On lui donnera bien une permission, si c’est vrai qu’il est décoré !

LE DRAC

Le port sera fermé ?

ANDRÉ

Non, il y aie temps ! Le vent est bon, faut pas plus de vingt minutes ! A part. J’enverrai mon neveu Antoine : c’est lui qu’ira vite, plus vite que moi.


Scène II

LE DRAC, seul

Oh ! j’empêcherai bien… Comment empêcherai-je ? Le vent et la vague m’obéiront-ils ? Les autres dracs ne me reconnaissent plus… C’est en vain que tout à l’heure je les évoquais sur la grève ; mais j’invoquerai l’esprit de vengeance, celui que les hommes appellent Satan ! Quel est-il ? Je ne le connais pas ; mais, s’il préside aux destinées humaines, il me reconnaîtra pour un des siens peut-être. Oui, je vais… Mais j’ai le temps. Je veux agir d’abord sur Francine. La voilà ! Que lui dirai-je ? J’ai perdu sa confiance. Je lui fais horreur ! Si je pouvais encore lui parler dans ses rêves !… Voyons ! il faut effacer de son esprit… J’ai été trop vite.