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fut gagné à Black-Hambledon. Ces sortes de prix sont aujourd’hui très communs ; mais, à mesure qu’elle vieillit, l’humanité devient plus sage, c’est-à-dire plus intéressée. Il faut maintenant des récompenses bien positives pour stimuler l’émulation du concours, et les plats d’argent ou les bourses de 100 souverains sont désormais considérés comme d’assez peu de valeur, si on les compare au nouveau système des stakes. Aussi la course qui va s’ouvrir ne doit-elle être envisagée que comme la préface du jour. » Il me restait à connaître ce qu’était le système des stakes ; mais comme tout le monde songeait à prendre ses places pour jouir du spectacle de la première race, je différai mes questions.

Toute notre compagnie, hommes et femmes, était montée sur le toit de l’omnibus ; du haut de cette estrade, je fus un instant écrasé par la vision des multitudes. Les dunes d’Epsom s’étendent à perte de vue ; elles ondulent loin, très loin, avec un mouvement de terrain presque insensible et gracieux : eh bien ! de tous les côtés il n’y avait point un brin de gazon qui ne fût couvert par la foule. Cet océan de têtes, ou, pour mieux dire, de chapeaux, car les Anglais ne se découvrent qu’à la dernière extrémité, avait quelque chose d’imposant et de vraiment solennel dans son immobilité orageuse et inquiète. Devant nous s’étendait le terrain des courses, que des policemen cherchaient à éclaircir en refoulant les promeneurs qui l’avaient envahi, et de l’autre côté s’élevait une masse noire et compacte de voitures, sorte de tribunes improvisées, sur lesquelles s’étageaient des pyramides de curieux. Le terrain des courses à la forme d’un fer à cheval. J’entendis des sportsmen se plaindre de l’état du sol, qui était ce jour-là, disaient-ils, dur comme du diamant ; mais cette nouvelle affligea peu les femmes, qui aiment généralement à entendre le sabot du cheval retentir sur la terre ferme et sèche. Comme on m’avait averti que cette première course n’était point le grand événement de la journée, je prêtai moins d’attention au spectacle lui-même qu’aux spectateurs. Il y a un moment unique, solennel, pour quiconque a le sang-froid de l’observation : c’est celui où les chevaux lancés passent comme des flèches entre les deux haies de curieux qui bordent de chaque côté le champ clos ; vous voyez alors toutes les figures se tourner à la fois devant vous de droite à gauche pour suivre le progrès de la course. Cette pantomime énorme, ce mouvement d’horloge répéta par trois ou quatre cent mille têtes au milieu d’un silence religieux est véritablement d’un effet extraordinaire.

La course était terminée. J’avais tout à fait oublié le morceau de papier que j’avais tiré du chapeau et qu’on m’avait recommandé de garder soigneusement dans la poche de mon gilet, quand un des