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M. Frère s’était piqué de purisme économique, et n’avait pas voulu sanctionner de son nom le barbarisme du double étalon. Fortuné pays que celui où un homme d’état met son honneur à respecter les principes de l’économie politique ! On supposait avec raison que la retraite de M. Frère ne serait pas de longue durée, et que, pour un dissentiment accidentel qui s’était produit sur une question d’un intérêt secondaire, M. Frère ne voudrait pas priver ses amis politiques et son pays du concours de son remarquable talent ; La reconstitution du cabinet belge et la rentrée de M. Frère au ministère des finances font présager que la prochaine session du parlement belge sera occupée par la présentation de lois utiles aux intérêts d’un pays qui n’est pas seulement un des plus industrieux, mais qui, par l’excellence de ses institutions et par son bon sens, doit être regardé comme le plus avancé en politique des états du continent.

Les fêtes et les réjouissances du couronnement du roi de Prusse sont terminées. Il y a sans doute quelque chose de singulier dans cette évocation des cérémonies du moyen âge qui vient de s’accomplir à Kœnigsberg. Le roi Guillaume Ier n’est que le second de sa race qui se soit fait couronner : le premier fut l’électeur Frédéric III, qui prit la couronne de Prusse le 15 janvier 1701. En France comme en Angleterre, on a relevé dans la presse avec une extrême vivacité les déclarations du roi Guillaume Ier, qui respirent la foi dans le droit divin des couronnes. Il nous semble que la meilleure façon de témoigner de son scepticisme en ce qui touche les idées de droit divin serait de ne point se montrer si susceptible contre les effusions qui en sont encore inspirées. L’essentiel, après tout, n’est pas que le roi Guillaume ne croie pas tenir sa couronne de Dieu, c’est qu’il soit un loyal souverain constitutionnel ; ce qui importe, ce n’est pas la religion monarchique du monarque, c’est dans la pratique son acquiescement aux procédés libéraux de gouvernement que le génie de notre siècle impose aux rois. Or à ce point de vue l’honnêteté connue du roi de Prusse ne laisse place à aucun doute, et ses sujets, que cela regarde plus que nous, augurent favorablement de son règne. Il est naturel que, dans l’enthousiasme provoqué par les solennités du couronnement, les ambitions prussiennes se soient exaltées dans les journaux qui rêvent de placer l’Allemagne unie sous le sceptre des Hohenzollern. Au surplus, il faut que le mouvement unitaire fasse au sein de la confédération des progrès qui donnent à réfléchir aux conservateurs eux-mêmes, ou que la vieille machine fédérale soit affectée d’une impuissance bien avérée, car les états secondaires s’apprêtent eux-mêmes à en proposer la réforme. L’initiative du nouveau plan de gouvernement fédéral appartient à l’un des plus habiles hommes d’état de l’Allemagne, à l’un de ceux qui depuis 1848 y ont montré le plus de présence d’esprit et d’activité ; nous parlons du ministre du roi de Saxe, M. de Beust, L’homme d’état saxon a compris que le rôle d’un conservateur intelligent ne consiste point à s’enraciner dans une politique immuable de réaction, et qu’en fait de réforme