Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/244

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique pour les œuvres les plus désintéressées et les plus utiles. La liberté de la presse et l’initiative libérale des assemblées représentatives n’ont jamais, tant qu’elles ont duré, ni menacé ni tracassé la société de Saint-Vincent-de-Paul. L’abus des influences ecclésiastiques ne faisait peur à personne, lorsque l’esprit public avait à sa disposition tant de moyens de surveiller et de réprimer les empiétemens de l’ambition cléricale. Des associations comme celle de Saint-Vincent-de-Paul étaient même protégées par la surveillance jalouse de la presse libre contre les fâcheuses tendances qui auraient pu naître dans leur sein. On faisait bonne garde au dedans d’elles-mêmes, pour les empêcher de se détourner de leur but et de compromettre par le mélange des calculs politiques la pensée primitive de leur institution. Aussi n’a-t-on pas une seule fois vu la société de Saint-Vincent-de-Paul mêlée aux ardentes controverses que provoqua, avant 1848, l’agitation pour la liberté de l’enseignement. Nous ne voulons blâmer personne, pas plus la société que le gouvernement, de ce qui est arrivé plus tard ; mais il est évident que depuis 1852 la situation de la société de Saint-Vincent-de-Paul devait être nécessairement changée et vis-à-vis du public et vis-à-vis du pouvoir. Les organes naturels de l’esprit public étant plus ou moins paralysés et placés à l’égard du pouvoir dans une situation de subordination, la société de Saint-Vincent-de-Paul, subsistant dans son indépendance, avec sa force d’organisation et de prosélytisme, prenait, par l’effacement des anciens contre-poids, des proportions nouvelles et démesurées. Le monopole de l’indépendance dans un état politique qui n’ouvre pas la carrière à toutes les libertés n’est jamais d’une possession facile et sûre. Il commence par exciter dans l’opinion des jalousies, grossières si l’on veut, mais invincibles comme l’instinct ; puis ces influences d’exception sont moins défendues contre leurs propres écarts. Dans une portion du public, on les suppose alliées du pouvoir, par la faveur duquel elles subsistent. Cet air de privilège les dénature ; s’il provoque des jalousies, il attire aussi des adhésions qui n’ont plus le mérite d’être désintéressées. Il est tel département en France où l’on croyait encore, il n’y a pas longtemps, faire sa cour et se créer des titres utiles en s’affiliant à la société de Saint-Vincent-de-Paul. Quand on a d’ailleurs une telle importance, et encore une importance solitaire, auprès d’un pouvoir de centralisation, il est difficile de ne pas finir par inspirer à ce pouvoir des défiances périlleuses. Là est l’écueil final, celui que la société de Saint-Vincent-de-Paul n’a pas évité.

Nous n’accusons certes personne, ni les sociétés charitables, ni le gouvernement : mais il nous semble manifeste que le défaut de liberté a, en cette circonstance, nui à tout le monde. La société de Saint-Vincent-de-Paul, malgré ses mérites, en a souffert. Le gouvernement, tout puissant qu’il est, et quoiqu’il soit demeuré rigoureusement fidèle à son principe de centralisation, n’y gagne pas grand’chose. Il est toujours délicat pour un gouvernement d’entrer sur un pareil terrain, où même sans le vouloir on