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sous le nom de mouton sauvage dans une relation d’Oger, seigneur d’Anglure, qui visita l’île en 1399. « Le roi, dit-il, nous envoya présens : c’est assavoir cent perdriz, cinquante lièvres et cinq moustons sauvages, qui estoient moult belle chose à veoir. » Comme les montagnes de l’Olympe renferment peu de précipices, la chasse de ces bêtes n’offre point de danger. Il est singulier que d’aussi grands animaux se soient conservés jusqu’à nos jours ; ceci paraît prouver que les Cypriotes se sont peu occupés des exercices de la chasse. Peut-être, dans quelques années, la race de ces ruminans sera détruite, car ils deviennent très rares. Ils vivent par compagnies de trois ou quatre.

Sauf le renard, l’île de Chypre ne renferme aucun carnassier dangereux. Si dans l’origine Chypre eut des animaux féroces, elle a trop peu d’étendue pour que la destruction n’en ait pas été rapide. Au contraire les primitifs habitans de l’immense Asie furent contraints d’être longtemps de forts chasseurs. Si les faits signalés depuis quelques années dans les terrains quaternaires se vérifient, nos pères durent en Europe avoir de longs combats à soutenir. Elle fut sans doute exposée à des luttes terribles, à de cruelles angoisses, la génération des hommes qui disputèrent nos riches vallées au mammouth, au rhinocéros à narines cloisonnées, à l’ours et au tigre des cavernes. Plus heureux que nos pères, les premiers Cypriotes, soit avant, soit après le déluge, eurent bientôt conquis la tranquillité. L’histoire ne nous les représente pas comme habiles à lancer contre les bêtes fauves l’arc et le javelot. Quoique fils d’un roi et d’une princesse de Chypre, ce n’est point dans cette île qu’Adonis allait à la chasse des animaux dangereux. La fable dit que, pour le suivre dans les bois, Vénus quittait ses demeures favorites d’Amathonte et de Paphos ; c’est en Syrie que son amant fut tué par un sanglier. Les Cypriotes, n’ayant point endurci leur corps dans les combats contre les bêtes sauvages, ne surent point lutter non plus contre leurs semblables ; la gloire militaire n’a jamais brillé chez eux. Ainsi le règne animal, comme les autres règnes de la nature, contribua à leur créer une douce existence.

Si dans les temps anciens la chasse a peu occupé les Cypriotes, la pêche a dû être un de leurs exercices les plus habituels, car les peuples insulaires sont pêcheurs. Comme tout languit aujourd’hui dans l’île, on fait peu de pêches ; les seules qui aient conservé de l’importance sont celles des éponges. Nous avons assisté à une de ces pêches. La barque étant arrivée dans les parages favorables, les huit hommes composant l’équipage se mirent complètement nus et se placèrent debout autour du bastingage, immobiles, l’œil fixé sur la mer. L’un d’eux apercevait-il une éponge, il piquait une tête,