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Parmi les meilleures cultures de l’île, il faut ranger celle du cotonnier. Elle était si profitable au temps du gouvernement des Vénitiens, que l’on appelait cette plante l’herbe d’or. Le cotonnier d’Orient n’est pas un arbuste comme celui d’Amérique ; il est herbacé. On le sème en mai. Ses fleurs jaune rosé sont la parure des campagnes. En octobre, les, coques s’ouvrent et laissent voir leur coton blanc comme neige. Si la chaleur n’était pas assez forte et continue, les coques, au lieu de produire du coton, ne donneraient qu’une sorte de pâte gluante qui ne se diviserait pas en fils. Le coton est d’autant plus beau qu’on le cultive dans des régions plus chaudes. Celui d’Égypte est bien supérieur à celui de la Turquie. On ne peut donc espérer de l’acclimater en France. Pour l’obtenir parfaitement pur, on le retire des coques avec les doigts ; mais à cette opération si longue on substitue généralement celle du sistrage, qui consiste à remuer les coques dans un panier fait de roseaux : les débris passent à travers les intervalles, et le coton reste seul ; on le débarrasse ensuite des graines au moyen d’une espèce de laminoir. Enfin, avant de le charger sur les navires, on le place sous des presses puissantes, qui en diminuent extraordinairement le volume.

La garance est pour Chypre une production plus importante encore que le coton. Chacun sait que la racine de cette plante joue un grand rôle dans la teinture. La culture de la garance est fort singulière : non-seulement elle exige un fond de sable très fin, homogène, sans cailloux, mais il faut qu’au-dessous du sable les racines rencontrent de l’eau à deux mètres environ de profondeur ; l’eau complètement stagnante serait impropre, elle doit être courante. On voit que bien peu de pays peuvent convenir à la pleine réussite de la garance ; mais là où sont réunies ces conditions le produit est immense. L’arpent de terre cultivée, qui vaut généralement en Chypre de 500 à 1,000 piastres (la piastre est de 22 centimes), monte à 6,000 et 8,000 piastres dans les lieux où la garance réussit ; aussi, malgré le manque de bras et de capitaux, la culture de cette plante a-t-elle au moins doublé depuis quinze ans.

La réputation du vin de Chypre se perd dans la nuit des temps ; après avoir vu disparaître ses temples dédiés à Vénus, ses exploitations de minerais précieux, ses palais élevés par les Vénitiens, l’île a conservé ses vignobles, seul débris de son antique prospérité. Oserai-je le dire ? les hommes sont si sujets à l’oubli que peut-être le nom de cette contrée si célèbre autrefois serait à peine prononcé, si le vin de Chypre n’en rappelait le souvenir. L’île possède plusieurs espèces de vin, mais la seule qui soit connue en Europe est le vin de la Commanderie. Ce nom vient de ce que les templiers eurent dans