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banque qui sont le salut des états modernes quand l’aggravation de l’impôt est impossible, et que les emprunts sont à bout : avances qui s’élevèrent en deux années, après la révolution de 1830, à 550 millions. Une banque d’état n’avance en pareil cas qu’un papier suspect, décrié, qui représente les besoins de l’état et rien de plus, tandis que le papier d’une banque privée représente les produits industriels dont il est la contre-valeur, et le prêt, l’avance de ce papier, signifie la confiance inspirée par l’état aux classes productives dont la banque est l’organe et le foyer. Seulement pour créer une banque à caractère privé, pour la fonder avec des garanties contre l’assignat capables d’inspirer confiance, il faut un ensemble d’institutions où tous les droits privés aient leurs garanties publiques, où personne ne puisse être violenté dans son industrie sous aucun prétexte, même quand cette industrie est d’émettre du papier au porteur, même quand le prétexte serait une raison, celle des besoins de l’état. C’est ainsi que la Banque de France a connu ses plus hautes prospérités, a rendu ses plus éminens services : presque tout le bien qu’elle a fait dans nos crises est imputable à cette base de droit et de liberté qu’elle acquit sous le régime constitutionnel.

Voilà ce que devint la France une fois maîtresse d’elle-même par ses institutions. L’ascension fut rapide : on la revit tout à coup, avec le poids qui lui appartient, dans les équilibres européens et dans le mouvement des affaires ou des esprits.

S’il y a des ombres à ce tableau, et il y en a, on ne veut pas les dire : on ne laisse pas que d’être dans le vrai, ayant montré les aspects lumineux qui remplissent presque tout ; mais en attribuant tout cela à la liberté, aurait-on commis par hasard le sophisme : cum hoc, ergo propter hoc ? Aurait-on pris pour l’effet de certaines institutions une grandeur qui n’était que leur contemporaine ? Je ne crois pas. Dire que les nations sont grandes parce que les hommes sont grands, parce qu’ils ont des droits et des garanties, c’est-à-dire de l’orgueil et de la sécurité, il me semble que c’est rapporter l’effet à sa cause.

Vous me direz qu’un pays peut être grand dans l’obéissance, s’il croit aux dynasties ou aux castes qui le gouvernent sans qu’il s’en mêle. Cela est vrai ; mais ce peuple ne saurait monter aussi haut que celui qui croit en lui-même, qui se gouverne lui-même, où l’esprit, qui est la force humaine pour conduire les affaires de ce monde, ne se borne pas proprio motu et ne se refuse nulle occasion, nulle gymnastique.