Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’exil, telle coalition, à force de défaites, entrer dans Paris. Ce qu’ils avaient appris les uns et les autres à travers tant de fortunes, c’est le droit de la France sur elle-même. « A l’île d’Elbe, disait Napoléon, j’ai entendu comme dans un tombeau la voix de la postérité. » Ce fut alors une effusion d’actes additionnels, de chartes octroyées, de constitutions sénatoriales, un retour et un empressement de tous vers la liberté. Remarquez, s’il vous plaît, que tous en leur temps l’avaient, ou détruite, ou sacrifiée, ou combattue ; mais il n’y eut personne à ce moment lucide qui ne l’appelât comme le salut commun, comme le seul régime où la France pût vivre en paix avec elle-même et avec l’Europe. L’acclamation fut universelle : nul n’y manqua, ni les vieux conventionnels fortement déguisés qui remplissaient le sénat, ni les intérêts et les opinions qui siégeaient à l’Hôtel-de-Ville, ni cet intelligent émigré qui revenait d’Hartwell et datait du XVIIIe siècle, ni l’autocrate illuminé de toutes les Russies, ni la froide raison des représentons de la Grande-Bretagne, ni l’évêque d’Autun et ses amis, dont l’expérience ramassée à tant de sources, dont la tolérance fameuse devint croyance à ce moment, une croyance où se fixa leur vie et leur fidélité. Grand spectacle devant lequel on peut bien s’arrêter ! Il y a apparence que ces chefs d’armée ou de légation, que tous ces souverains, tant vainqueurs que vaincus ou restaurés, savaient les affaires, l’histoire, l’esprit et le poids de la France. Ils avaient été à terrible école ! Plus on était grand, plus on avait tremblé. Eh bien ! c’est à ces hauteurs, peu hantées par l’utopie et la démagogie, qu’on fut unanime à vouloir cette conclusion, cette clôture des batailles et des catastrophes : le gouvernement de la France par elle-même.

On voit comment est née chez nous la liberté : hier ou avant-hier, toujours en bon lieu, — sans tradition de longue date, mais non sans combinaison et sans providence. Jamais peut-être on ne vit au berceau d’une institution cette maturité de conseils, tant de sagesse délibérée, tant de raison, y compris la raison d’état. Le traité de Westphalie n’est qu’une convention postale, comparé à ces négociations sans bornes qui s’exerçaient sur la mappemonde, sur le sort des dynasties, qui touchaient même aux droits intimes et pour ainsi dire à l’âme de la France.

Le fait est que l’Europe, après vingt-cinq ans d’épreuves, prononçait sur le gouvernement de la France tout comme la France l’avait fait elle-même en 89, au début des épreuves, et les deux choses réunies ne sont peut-être pas dépourvues de sens, d’autorité.