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les parties lucides et élevées de notre nature, c’est un trait et une partie de la vérité. Tout ce qui est grand et nécessaire est article de foi, affaire d’instinct, nous pénètre et nous gouverne, quoi que nous en ayons. La liberté aussi bien que la religion peut revendiquer ces jugemens du cœur, comme dit Pascal. Où en serait l’espèce humaine, inculte et irréfléchie comme elle l’est, si ce dont elle a besoin lui devait venir par voie de syllogisme seulement, si elle n’était pourvue de certains dons spontanés, de quelque intuition pour découvrir ses fins, sa discipline, et surtout ses droits ? Tous les préjugés n’ont pas tort : ils sont en nous et ne sont pas de nous, une révélation peut-être… On peut les suivre jusqu’à un certain point, les consulter au moins, par la même raison que les Orientaux honorent les fous, conduits par Dieu, puisqu’ils ne se conduisent pas eux-mêmes.

Toutefois il y a en nous d’autres principes de conviction et de conduite que le sentiment, quand ce ne serait que la raison. Nul sentiment n’est dispensé de parler à la raison, — soit en lui montrant des faits dont l’ensemble constitue une loi, — soit en prenant au plus haut de nous-mêmes quelque principe, quelque axiome qui à lui seul fait règle et autorité. Cela fait deux jugemens de la raison, deux manières d’observer et de conclure. Or, pour prendre tout d’abord une haute idée du gouvernement représentatif, il faut le considérer dans ses produits historiques plutôt que dans ses sources logiques. Il est plus sûr de le juger au point de vue des faits et des résultats qu’en théorie pure. Cela peut sembler étrange ; mais la voie synthétique, l’allure a priori, n’est pas celle où l’on comprend le mieux tout ce qu’il vaut. En revanche, ses mérites éclatent pour peu qu’on y applique l’analyse et qu’on le regarde pour ainsi dire avec les yeux de la tête.

Où se trouvent les plus riches efflorescences de bien-être universel, de richesse concentrée, de territoire, de puissance au loin, de forces productives ? C’est à l’ombre de ce régime. Ce jugement est infaillible. Que l’on compare entre elles deux nations ou deux époques de la même nation : la plus forte en œuvres, c’est la plus représentée, la plus libre, si vous aimez mieux. Remontez seulement au siècle dernier et regardez ces deux peuples qui bordent la Manche : l’un laissant déchoir ses armes, dépérir ses manufactures, échapper ses colonies, payant de la Bastille ou de l’échafaud ses plus hardis proconsuls, sans voix et sans compensation au partage de la Pologne, dégénérant en marine secondaire, congédiant le dernier des Stuarts, réduit pour toute alliance à l’Espagne, l’impuissante Espagne, la première alliée du comité de salut public !… tandis que l’autre prend le Canada, les Indes, les mers, créant le