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avec mes oreilles ; les organes mortels ne sauraient y suffire. — Je voyais tout, j’entendais tout par la vue et l’ouïe de mon âme. — Et tu brillais devant moi, ô Seigneur, comme le soleil des soleils formant l’auréole de la forme humaine. — Oh ! la lumière du jour est une nuit éternelle, comparée à ce rayon qui découlait de ton front ! Quoique immatériel, tu m’étais plus visible que le corps, — et chaque parole qui sortait de tes lèvres avait un son plus harmonieux qu’aucune harmonie que j’aie jamais entendue, — et sans produire un bruit, elle résonnait comme un hymne au fond de mon cœur ! — Et j’étais avec toi, et je te contemplais non pas caché et voilé par les mystères dans la très sainte hostie, — mais tel que tu es toujours, au milieu du peuple des anges, là où tu règnes au-dessus du monde, avec tes bienheureux. — Tel, tel je te possédais ici sur la terre ! — Je te voyais plus distinctement que tes saints, ô Seigneur, car avec plus de force et d’ardeur je t’aime ! Tes élus, tu les abrites déjà dans ta demeure éternelle ! — et moi, quel est mon abri ? Qui me garde et me protège ? Quand tu me quittes, je tombe dans le désespoir, — mais la douleur et le désespoir peu m’importent. Plus je suis affligée, plus ardemment je t’adore, — plus la souffrance est grande, plus d’élans elle réveille en moi. — Dans l’enfer divin de ce céleste amour, ta présence même me blesse, — car je songe qu’un instant après tu vas t’éloigner de nouveau, — et des siècles s’écouleront avant ton retour !

Délaissée par mon Dieu et gardant son souvenir, je reste étendue sur le sol, semblable à une pierre du tombeau, et la tristesse poignante dessèche la moelle de mes os. — Je désire sans mesure, — j’aime sans mesure ; le désir et l’amour ne me servent de rien ! Tout mon être n’est qu’une seule aspiration ; mais ta volonté est immuable, — le maître immortel ne descendra pas auprès de la servante, si ce n’est un jour, — un jour, — encore pour la seconde fois ! — Et malgré ton avertissement, ô Seigneur, je me meurs de ne pouvoir mourir !

Est-ce que tu crois, ô toi éternellement vivant, que je t’aime à cause des récompenses futures promises dans ton royaume, — pour les palmes, les harpes, les merveilles, les délices espérées dans ton ciel ? — Oh ! non ! Moi, je t’aime parce que tu as été malheureux, parce que tu as passé par toutes les douleurs, supporté toutes les humiliations ! Toi Dieu, chargé de fers, toi Dieu, conduit au supplice par les bourreaux !… Moi, je t’aime parce que dans ce moment suprême le ciel t’a délaissé et les hommes t’ont trahi ! — Moi, je t’aime parce que tu as été forcé de crier vers le père : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » — Moi, je t’aime plus à cause de ton agonie