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— non ! — J’aimais la Pologne et toi, ô Seigneur ! — Elle est vivante sur la terre et toi au ciel ; — aussi je meurs avec ton nom et celui de la Pologne sur ces lèvres qui seront muettes dans quelques instans. — Sainte est ta volonté ! sainte ma longue captivité moscovite ! sainte l’horreur de ma mort solitaire, — puisque le pays de mes pères est libre !…


XXXVII

Je te rends grâces, ô Seigneur, de m’avoir montré en vision ma patrie heureuse ; — je te rends grâces de m’avoir fait voir ceux qui servent sa cause ! Tu daignes permettre que je ferme ici les cimetières de mon peuple et que je sois le dernier cadavre polonais dans les cachots du tsar. — Je te rends grâces, ô Seigneur ! Hélas ! j’ai si peu de forces, ce corps exténué ne peut plus s’agenouiller. — Je pose mes mains en croix. — De quel côté est le ciel ? Il fait si noir partout, — et dans mon cœur s’éveille encore le souffle de l’inspiration… Il faut prier, prier, prier pour ma Pologne !


XXXVIII

Seigneur, Seigneur ! puisque tu as rendu le sceptre de la puissance à ta martyre, laisse-lui sur la terre dompter pour la première fois ce qui était indomptable ! Ce que ne pouvaient accomplir nuls dominateurs de ce monde : les rois, la noblesse, le tiers-état et le peuple, — tyrans divers par leur nom, mais également despotes dès qu’ils se sont emparés du pouvoir, — permets-lui de le faire. — En planant bien haut sur ses ailes d’archange, au-dessus des abîmes corrupteurs du temps, au-dessus des tentations et des pièges de l’orgueil, — qu’elle ramène la sainte fraternité parmi les hommes ! — Donne-lui à jamais l’inépuisable force de l’amour, — et comme elle est sortie triomphante du tombeau, elle triomphera de la mort ! Non, elle ne s’en ira pas en poussière, comme d’autres états pétris de boue et de sang, — car elle aura dans son sein ta vertu et ta sagesse, ces deux principes de la victoire et de la puissance ! — Que toutes les nations la bénissent, elle qui est heureuse du bonheur des nations ! — Que ton Christ soit glorifié en elle et se manifeste dans toute action humaine ! Que par elle ton royaume descende sur la terre !… — Ah ! je sens mes forces s’épuiser,… peut-être c’est déjà la mort ?… Merci, ô Seigneur !


XXXIX

Une blanche lueur scintille devant mes yeux, — un bien-être indéfinissable remplit ma poitrine ; — les tristes souvenirs de la vie s’effacent peu à peu dans ma mémoire. — L’air vibre du son des harpes ; — jamais l’oreille humaine n’a entendu de pareilles harmonies.