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politique et commercial ; elles sont vivaces, elles sont naturelles, elles sont intelligibles.

Mais en serait-il de même pour la France, si elle se laissait entraîner hors de la neutralité par les insinuations ineptes ou perfides de cette presse « indépendante et dévouée » qui a conçu l’étrange pensée de nous associer à l’Angleterre dans le cas où ce pays se croirait obligé à faire la guerre à l’Amérique ? Pour nous, il est manifeste qu’aucun intérêt, ni politique, ni commercial, ne nous pousse à prendre part à une telle guerre, que tous les intérêts au contraire nous lient à la neutralité. Certes la façon dont les commissaires du sud ont été saisis à bord du Trent est une violation du droit des neutres : la France répudierait réellement tous ses principes, si elle donnait à un tel acte son approbation ; mais lors même que les États-Unis, sous l’empire de circonstances qui nous sont étrangères, s’opiniâtreraient à refuser toute satisfaction au gouvernement anglais, aurions-nous sérieusement le droit de nous alarmer et de prendre les armes contre la prétention de l’Amérique, comme si elle menaçait et atteignait véritablement tous les neutres ? Dans l’histoire maritime des États-Unis, l’affaire du Trent n’est qu’une exception isolée. Toute l’histoire des États-Unis, leurs conditions d’existence, les nécessités de leur avenir sont en contradiction avec cette exception, et empêchent l’Amérique de l’ériger en une règle du droit maritime. Quel danger y a-t-il que les états du nord appliquent cette règle aux autres neutres ? Où sont leurs escadres ? Où sont à travers le monde leurs stations maritimes ? où sont les instrumens à l’aide desquels ils pourraient aspirer à la suprématie des mers ? Qu’il plaise aux États-Unis de ne rien céder sur l’affaire du Trent et de ne pas retirer le prétexte de guerre qu’un de leurs officiers a fourni à l’Angleterre, sans doute nous le regretterons profondément dans leur intérêt ; mais il ne nous sera pas permis de voir dans cette manifestation d’hostilité du peuple américain contre la politique anglaise une menace pour nos principes et notre sécurité en matière de droit maritime. Les États-Unis ne cesseront pas pour cela d’être ce qu’ils ont toujours été, les défenseurs de la liberté des mers. Nous commettrions le contre-sens politique le plus absurde, si, nous méprenant sur la portée d’un prétexte de guerre, nous allions aider la puissance qui prétend à la suprématie maritime à démembrer et à diminuer une des puissances dont la force et la prospérité sont le plus nécessaires au maintien de l’équilibre des mers. La France moderne, la France de la révolution est trop jeune encore et a subi de trop fréquentes secousses pour avoir déjà des traditions politiques nombreuses ; mais, parmi nos rares traditions, l’alliance des États-Unis est la plus ancienne : elle est étroitement associée aux origines de notre révolution, elle représente un de nos intérêts les plus certains, l’intérêt de pouvoir opposer un contre-poids à l’Angleterre sur l’Océan. Pourquoi, au mépris de cette tradition, au mépris des affinités qui se sont manifestées à plusieurs reprises entre nos aspirations politiques et celles des États-Unis, nous hâterions-nous de reconnaître la confédération