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« J’ai soif ! » dit-il, brûlé de cuisantes chaleurs ;
Une implacable voix répondit : « Bois tes pleurs. »


IV


L’Orient, où déjà quelques ombres lointaines
S’enfuyaient, se teinta de lueurs incertaines.
Le foyer s’éteignait. Satan dit : « Hâtez-vous !
Dieu, qui commande à l’heure, est un maître jaloux ;
Spectres, il vous défend la terrestre lumière,
Et vous renvoie encore au froid du cimetière. »

Comme une caravane on voyait défiler
Des fantômes muets qui semblaient s’envoler,
Corps légers retournant à leur tombe abhorrée.
Les flots croissans toujours de l’humaine marée,
Imitant le bruit sourd du plaintif Océan,
Rentraient, l’un après l’un, dans l’éternel néant.
Les ennemis du ciel et les bourreaux de l’homme,
Les uns venus de Perse et les autres de Rome,
Adorateurs du feu, juifs, musulmans, chrétiens,
Et d’autres accourus, peuples nouveaux, anciens,
De Stamboul ou de Tyr, d’Arménie ou de Grèce,
De Tiflis, de Moscou, d’Albion, de Lutèce,
De l’est et du midi, de l’ouest et du nord,
De tous les coins du globe où travaille la mort,
Hommes blonds, bruns, cuivrés, — devant l’ange rebelle
Chaque siècle apporta sa gerbe criminelle.
Les maudits égrenaient sous les cieux détestés
Le rosaire accablant de leurs iniquités ;
Pour des forfaits divers, leur foule confondue
Dévorait de son vol les champs de l’étendue.
Des sanglots éclataient dans les groupes serrés,
Des blasphèmes, des cris, des bruits désespérés,
Qui troublaient le sommeil des collines prochaines
Et se mêlaient au chœur des sapins et des chênes.

Aux dernières clartés de l’âtre pâlissant,
On vit s’enfuir, le front stupide ou menaçant,
Le ramas lâche et vil des scélérats sans gloire
Dont les noms ont péri dans l’égout de l’histoire.
Comptez les grains épars du sable des déserts,
Comptez les gouttes d’eau dont se gonflent les mers,