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race, nous n’aimons pas à nous remplir la bouche de ces expressions. Nous sentons que, dans tous les temps, il y a toujours place pour la fierté, et qu’on peut avoir une âme libre sans avoir l’air de demander à tous les pouvoirs la permission de se tenir debout. Il n’y a que des aristocrates pour se servir de ces mots, sauf à les appliquer aux autres, en se réservant le privilège de toutes les vertus qu’ils refusent à leurs contemporains.

Il y a de l’aristocrate chez M. de Montalembert, disais-je, et il y a aussi, — pourquoi ne pas le dire ? — du factieux, si l’on veut dépouiller ce mot de ce qu’il a de vulgaire. Le brillant orateur a naturellement les goûts, les instincts, les allures du factieux, et il ne plie le front devant la seule autorité qu’il reconnaisse, l’autorité religieuse, que pour se relever dans cette attitude de rebelle qu’il a eue en face de tous les pouvoirs depuis trente ans. S’il n’eût trouvé la religion pour frein, il eût été sans doute un vrai factieux, et même avec ce frein, après avoir mis sa conscience en sûreté de te côté, ne s’est-il pas souvent trouvé plus à l’aise pour se livrer à toutes les fantaisies de son esprit d’agression, confondant du reste toutes les nuances, et finissant par se faire une habitude de cette exagération de langage au point de parler des régimes les plus tolérans comme des gouvernemens les plus durs ? Je ne voudrais infliger d’autre désagrément à M. de Montalembert que de rappeler ce qu’il a écrit un jour, en laissant deviner dans quel temps il parlait ainsi. « On a accusé le peuple français d’oubli et d’ingratitude envers ses bienfaiteurs, disait-il. Nous n’en savons rien, car nous n’avons jamais connu de ces bienfaiteurs-là ; mais ce que nous savons, c’est que de tous les peuples c’est lui qui pardonne le plus vite à ceux qui l’oppriment, le trahissent et le déshonorent, et que c’est à peine si aujourd’hui toutes les douleurs, toutes les injures de la patrie et de l’humanité ont conservé une place ailleurs que dans quelques mémoires tenaces et quelques âmes ulcérées comme la nôtre. » Après cela, dans ces saillies d’indignation qui se renouvellent assez souvent chez M. de Montalembert, qui ont même une certaine monotonie, et où s’exhale l’âpre humeur du gentilhomme à demi factieux, il y a aussi, je ne l’ignore pas, la part de l’imagination et de l’entraînement oratoire ; il y a du lettré accoutumé dès sa jeunesse à tous les succès et précocement enivré du bruit de sa propre parole. M. de Montalembert se laisse emporter par les nécessités d’un rôle qui a fini par se confondre avec sa nature, et peut-être ne pourra-t-on pas dire de lui ce qu’il disait lui-même un jour, à son entrée à l’Académie, de son prédécesseur, l’honnête et pacifique M. Droz : « Il entraîne par des qualités de plus en plus rares dans la vie littéraire, la sincérité, la simplicité et la modestie. Il ne pose jamais, il