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M. de Montalembert avait la passion sincère de la grandeur nationale, l’effroi de voir la France amoindrie. Il redoutait pour le régime constitutionnel le péril d’une politique affectant trop l’amour de la paix, laissant du malaise au cœur de la France, et il peut dire aujourd’hui que les événemens ne lui ont pas donné absolument tort.

M. de Montalembert était au fond dans la vérité et dans la justice lorsqu’il s’élevait contre le monopole dictatorial de l’état enseignant, et réclamait une part de soleil pour la liberté de l’éducation. Il n’avait point tort lorsqu’il montrait l’incompatibilité entre cette foule de décrets, lois et ordonnances, traditions de tous les despotismes, et le principe du régime constitutionnel. Il avait raison lorsqu’il signalait sans cesse le danger des excès de la centralisation et de l’omnipotence de l’état se substituant partout à l’initiative individuelle. M. de Montalembert enfin avait une vue juste des conditions morales du temps dans son idée essentielle de la réconciliation de la religion et de la liberté, quand il démontrait que la religion avait besoin de la liberté pour reconquérir son ascendant sur les âmes, et que la liberté elle-même avait besoin de la religion pour s’affermir, que son plus redoutable ennemi était le radicalisme révolutionnaire. C’était l’inspiration supérieure des discours et des polémiques de M. de Montalembert ; mais, en s’inspirant de ces idées générales, il leur donnait je ne sais quel caractère exclusif, agressif, et c’est ce qui faisait de son éloquence une sorte d’excentricité brillante se perdant avec un inutile fracas sous ces paisibles ombrages du Luxembourg dont il parlait plus tard.

Il y eut pourtant une heure où, ces facultés d’orateur grandissant et la situation se transformant en même temps, M. de Montalembert arrivait à être tout à coup non plus seulement le chevalier intrépide et aventureux des droits de l’église, mais l’observateur énergique, émouvant et inexorable de tout un ordre nouveau de crises publiques, l’orateur d’une société en détresse. Par une coïncidence curieuse, M. de Montalembert lui-même avait la fortune de faire entendre le cri d’alarme de la civilisation dans ce discours sur la Suisse et la guerre du Sonderbund qui transportait la pairie d’enthousiasme aux premiers jours de 1848, et qui était comme le prologue retentissant d’un drame inattendu pour l’Europe tout entière, d’une carrière nouvelle d’éloquence pour le chef du parti catholique. M. de Montalembert se méprenait peut-être un peu sur la portée générale de ces événemens de la Suisse : il exagérait un peu le sens de ce duel intérieur de la Suisse radicale et de la Suisse catholique ; mais dans ce travail d’unité et de révolution devant lequel pliaient l’indépendance locale, le droit, l’esprit religieux des petits cantons, à la