Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 35.djvu/971

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ami de l’humanité que l’état intellectuel et moral de ces populations de l’Autriche orientale. Dégradation, brutalité, ignorance, voilà ce qu’on rencontre à chaque pas dans le Banat comme dans la Galicie. »

On demandera si la religion chrétienne, cette grande institutrice des peuples, ne donne point aux habitans du Banat ce qui leur est si durement refusé par l’administration autrichienne. Le tableau des divers clergés chrétiens du Banat, tel que le trace M. le baron de Berg, est plus triste encore que le tableau de cette bureaucratie et de cette justice. La religion dominante dans le Banat est la religion grecque. D’après les derniers recensemens, les grecs schismatiques compteraient plus de 679,000 fidèles. Après eux viennent les catholiques, au nombre de 614,000 ; 76,000 protestans, 16,000 juifs, 11,000 grecs-unis, complètent la statistique des églises. Ainsi l’église grecque retient encore sous sa tutelle environ la moitié de la population du Banat. Or, si en Russie même et en Grèce cette église est misérablement servie, excepté dans les rangs supérieurs, on devine aisément ce qu’elle peut être en face de l’administration autrichienne. L’ignorance, la naïveté ou le cynisme de l’ignorance chez les popes du Banat dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Les règlemens à la vérité exigent que tout aspirant à la carrière ecclésiastique ait achevé ses humanités et étudié la théologie au séminaire de Verséc ; mais il est des accommodemens avec l’épiscopat orthodoxe, et pour quelque somme d’argent on est dispensé du séminaire. Ce n’est plus même une exception, c’est la règle : le séminaire de Verséc subsiste encore uniquement pour sauver les apparences. Dans les campagnes, M. de Berg l’affirme, la plupart des popes ne savent ni lire ni écrire. Ils apprennent par cœur ce qu’ils sont obligés de connaître, ils récitent machinalement les prières, ils estropient intrépidement les formules de la messe : du reste, aucun souci de l’esprit de l’Évangile, aucun sentiment de la morale chrétienne. Le plus humble des desservans et le plus profond des théologiens, dans une église vivante, se sentent animés du même souffle au sein de la charité. Cette chaîne d’or est rompue dans le clergé du Banat. Le christianisme y est tout extérieur : des images, des reliques, des médailles, des formules ; tout pour les sens, pas un grain de nourriture céleste pour l’esprit et l’âme, voilà le culte grec dans l’Autriche orientale. Ce qu’éprouve le chrétien protestant quand il lui arrive de visiter certaines églises d’Italie ou d’Espagne, le chrétien catholique le ressent à son tour en présence des popes du Banat et de leurs cérémonies païennes.

Le grave témoin à qui nous empruntons ces renseignemens consigne dans ses notes de voyage des preuves à peine croyables de