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comparer cette variété prodigieuse et inépuisable qu’à celle des fleurs, des oiseaux et des insectes, qui, se reproduisant sans cesse et suivant la même loi, ne sont cependant jamais pareils. S’agit-il de tissus : à la diversité des couleurs ils ajoutent la diversité de la trame, qui imite la texture des fleurs, des feuilles ou des plumes, les rayures, les mouchetures et les chinures des animaux et des végétaux. Eh quoi ! parce qu’en fabriquant ces châles inimitables ou ces tapis dont le velours est chatoyant comme la mousse au soleil ils ne cherchent pas à faire des tableaux sur une robe ou sur une draperie, on en conclut que c’est un art qui s’est imposé des limites, un art qui tourne toujours dans le même cercle sans faire de progrès ! Mais ces limites, pourrait-on dire aux fabricans modernes, sont celles de la raison, du goût, du beau ; ce sont les lois de la nature elle-même. Sous ce nom de haute nouveauté que vos réclames affichent à chaque saison, quel triste chaos de formes et de couleurs étalez-vous ! En extase devant un morceau de soie qui imite une gravure en taille-douce, vous vous écriez que c’est seulement en France qu’on est parvenu à une telle perfection de tissage, et que partout ailleurs on remarque des parties où la main se trahit, car la main, si par hasard elle prend l’aiguille ou le burin, ne doit montrer, comme l’inflexible machine, ni émotion, ni sentiment, rien en un mot de ce qui indique la vie, de ce qui fait le charmé, de ce qui constitue l’art !

Pourquoi la voix humaine est-elle, comme on l’a dit souvent, le plus émouvant des instrumens ? C’est qu’elle est l’émanation directe des nerfs et de la vie, qui n’ont pas besoin, pour se faire sentir, de passer par un intermédiaire, par une machine, orgue, piano, flûte ou violon. Ces nations à la fois si vieilles, puisque leur civilisation remonte aux temps antiques, et si jeunes, puisqu’elles ont gardé leur originalité, vous les appelez barbares, parce qu’elles ont marché à travers les siècles, au milieu des guerres et des ébranlemens d’empires, des misères et des prospérités, conservant toujours, avec un véritable sentiment de piété filiale, leurs traditions de religion, d’art et de poésie ! Et vous qui, après avoir copié toute votre vie, vous figurez tout à coup que vos pastiches, vos emprunts faits de droite et de gauche, sans goût et sans discernement, sont des créations originales, vous qui, dans vos journaux, vous décernez la palme de la civilisation suprême, comment devrait-on vous appeler ? D’où vient donc cette différence entre vos modes éphémères si vite dédaignées, entre ces créations vieillies avant d’avoir vu le jour, et cet art stable, toujours plein de charme, de jeunesse et de beauté, quels que soient son âge et son immobilité ?

Afin de ne pas laisser les fabricans dans la conviction funeste de leur supériorité, nous voudrions pour eux la création d’un musée