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Ce n’est pas tout. Les méthodes de l’Orient pour teindre les étoffes en différentes couleurs, les semer de fleurs et d’ornemens, prouvent à quel point on y est habile en chimie industrielle. Les procédés d’impression décrits par Pline sont exactement les mêmes que ceux qu’on emploie de nos jours. En Égypte, en Phénicie, où les Grecs venaient chercher les tissus de pourpre, de laine blanche et de lin, les objets de parure et les parfums, on était parvenu à teindre les étoffes des plus riches couleurs et avec une solidité, une fraîcheur de nuances dont rien n’approche. Cette pourpre de Tyr, si célèbre, ne se composait pas, comme on le croit généralement, d’une couleur unique, le rouge écarlate, mais d’un système de teinture à l’aide de couleurs animales produites par certains coquillages, et qui diffèrent entièrement de la couleur végétale. On comptait à Sidon et à Tyr neuf couleurs simples de pourpre, depuis le blanc pur jusqu’au noir, et cinq mélangées. les conchylifères employés à ces teintures étaient de deux espèces : le buccin (buccinum) et la pelagia ou purpura conchyle proprement dite. Le premier se trouvait sur les écueils et les rochers, la seconde se pêchait à la ligne dans la mer. La coquille des deux mollusques est également roulée en spirale ; mais celle du buccin est ronde, et l’autre pointue. Elles ont autant de circonvolutions que le mollusque a d’années. Ces coquillages étaient très abondans non-seulement sur les côtes de Phénicie, mais encore sur celles de la Méditerranée et de l’Atlantique. Les rives de l’Adriatique et de la Sicile donnaient le plus beau violet et celles de la Phénicie le ponceau le plus estimé[1]. La couleur servant à la teinture était contenue sous forme de liqueur dans une glande ou vessie blanche placée au cou de ce mollusque et nommée fleur. Enfin l’éclat, la pureté des couleurs qu’on trouve aujourd’hui encore dans les étoffes de laine, de soie et de coton fabriquées à Tripoli, à Tunis ou au Maroc, prouvent que les traditions s’y sont conservées, et que les procédés anciens sont bien supérieurs à ceux de la science moderne. L’art de teindre est devenu trop scientifique. On emploie, comme en médecine, une pharmacie trop compliquée. Alors c’était une étude attentive de la nature et de ses produits qui révélait ces moyens précieux.

À l’exposition universelle de 1855, lorsque, sur la demande du jury et en présence des commissaires lyonnais, le directeur de la compagnie des Indes ouvrit ses caisses les plus précieuses, nous étions présent, et nous devons dire que ce fut de la stupeur qui se peignit sur les visages. Malgré leur vanité de fabricans, malgré l’orgueil

  1. Ponceau, du latin puniceus ; vient de punicum, sous-entendu malum, grenade punique dont le rouge est éclatant.