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avec une science merveilleuse les couleurs, les étoffes et l’ornementation des fleurs. De tels artistes ont dans l’œil la géométrie des choses et savent en tirer le parti voulu. Un oiseau, une plante restent ainsi plante et oiseau tout en devenant ornement. Un tapis de pied n’est-il pas destiné à remplacer la mosaïque d’un parquet de bois ou de marbre, à simuler ces tapis de mousse et de gazons jonchés de fleurs, dont les prairies donnent la plus exacte idée ? Tel est le but défini par les limites du goût. Le champ n’est pas moins vaste et moins inépuisable que les combinaisons de notes pour la musique ou les assemblages de lettres pour représenter les idées. Les lois de la couleur seraient-elles donc moins vraies que celles de la musique ? L’harmonie ne doit-elle pas les régir également ? Malheureusement l’ignorance de ces lois est si absolue dans tout l’Occident, que les leçons et les exemples restent incompris de nos fabricans, lancés comme ils sont à toute vapeur dans les voies du hasard. Malgré les merveilleux tissus que l’Orient avait déployés aux yeux de tous aux expositions universelles de Londres et de Paris, notre fabrication n’a pas su se les assimiler.

Devant toutes ces merveilles de l’art oriental, nous nous reportions aux grandes époques de l’histoire, aux richesses de Babylone et d’Alexandrie, à ces grandes batailles des Perses où l’éclat des costumes, des armes et des pierreries brille dans la poussière lumineuse du passé. La mémoire retrouve dans ces tissus charmans les vêtemens des bas-reliefs de Thèbes, de Ninive et de Memphis. Ce sont les mêmes gazes transparentes et constellées, les mêmes trônes, les mêmes palanquins, les mêmes éventails, et des bijoux aussi délicatement travaillés ; c’est encore ce tapis merveilleux qu’Alexandre le Grand trouva dans la tente de Darius, et qu’il partagea entre ses lieutenans. Chaque morceau de la grandeur de la main, grâce aux perles et aux rubis dont il était brodé, représentait une somme fabuleuse. Devant l’imagination se déroule ainsi tout le luxe des splendeurs antiques. Dans ces contrées du soleil, le goût du beau est un sentiment inné. Rien n’est assez précieux ; l’or couvre la soie, les pierreries couvrent l’or. Et qu’on ne croie pas que ce soit là une richesse lourde et abusive, que l’ornementation, faite au hasard, soit dessinée par le caprice, comme dans nos étoffes d’Europe. Non, l’art vaut ici plus encore que la matière ; la science décorative la plus pure, le goût le plus exquis a brodé, découpé, soutaché, niellé ou ciselé ces entrelacs, ces fleurs, ces animaux, dont la complication infinie, mais toujours géométrique, met l’esprit en quête de la loi qui crée ces arabesques merveilleuses. Voyez quelle entente profonde de la couleur au milieu de ces éclats d’or et d’argent, de ces flamboiemens de pierreries, de ces associations de tons si divers ! On sent là