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étaient en relations avec le Levant, furent imités dans les siècles qui suivirent. Toutefois les copies n’atteignirent jamais la perfection de l’original.

Les plus anciens tissus de soie, mêlés d’or, de fil et de coton, aussi bien que les tissus de laine, les châles et les tapis, étaient brochés et souvent à sujets. Ces sujets, dont les bas-reliefs assyriens et perses peuvent donner quelque idée, représentaient des processions de personnages, des grillons, des licornes, des basilics, des salamandres, des lions ailés et autres animaux plus ou moins fabuleux de ce bestiaire oriental auquel nous avons emprunté nos animaux héraldiques. On y mêlait parfois des roues grandes et petites, puis des roses et des fleurs-arabesques ; souvent aussi c’étaient des entrelacs de cordons et de lignes formant soit des dessins géométriques, soit des rayures de toutes proportions. Plus tard, lorsque le culte catholique s’établit sur les rives du Bosphore, les étoffes destinées à l’église furent ornées, de scènes représentant la vie du Christ et des apôtres.

Après les étoffes égyptiennes retrouvées dans les tombeaux, les plus anciennes que nous connaissions sont celles du trésor d’Aix-la-Chapelle, servant d’enveloppe aux reliques envoyées à Charlemagne par le calife Haraoun. Quelques archéologues leur assignent, bien à tort selon nous, une date précise. À moins que cette date ne se trouve inscrite dans la trame même, il est impossible, d’après le dessin, de rien conclure. En effet, les modes en Orient ne varient pas comme en Occident. L’Inde et la Perse font encore les mêmes tissus et souvent les mêmes dessins qu’à l’époque sassanide. Les étoffes d’Aix-la-Chapelle, celles de l’évêque Gunther à Bamberg, de Cuthbert à Durham, puis les chapes des églises du Mans, de Chinon, de Metz ou de Bayonne, n’ont pas d’autre date, suivant toute probabilité, que celle de l’envoi. Elles étaient offertes en cadeau ou rapportées comme de belles étoffes neuves venant des fabriques d’Asie, et nullement comme des antiquités[1]. N’oublions pas que les Romains à Byzance, de même qu’en Égypte et en Asie, avaient subi cette civilisation de l’Orient, si grande dans son imposante immobilité,

  1. En voyant sur ces étoffes sassanides des aigles brodées, M. Lenormant y croyait retrouver les aigles romaines et remarquait que le prestige du peuple-roi ne s’était jamais effacé aux yeux des Orientaux. Il en voyait une preuve nouvelle dans l’aigle aux ailes éployées qui se trouve à la proue de la galère du sultan. Nous ne trouvons à cela qu’une légère difficulté : cette aigle du kaïk impérial est une colombe, symbole pour les Orientaux de rapidité et de bonne direction. Si imparfaite que soit cette sculpture, il n’est pas permis de s’y tromper ; elle est d’ailleurs argentée, tandis qu’une aigle serait nécessairement dorée. L’aigle des étoffes sassanides, de même que les coqs, les lions, les guépards et autres animaux, appartient à l’Assyrie, à la Perse, qui la connaissaient bien avant l’invasion romaine.